Alcool à 90° et pharmacies d’officine

La deuxième tournée des Douanes !

Publié le 28/04/2014
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L’ADMINISTRATION des douanes a décidé de lancer une deuxième tournée générale dans l’affaire de l’utilisation de l’alcool à 90° par les pharmacies d’officine. De nombreuses pharmacies de notre région viennent de recevoir en rafale des avis préalables de taxation les informant des redressements auxquels ils seront bientôt assujettis, avec des notes allant de 25 000 euros à plus de 100 000 euros pour les plus gros consommateurs. Inutile de dire que c’est la tournée de trop pour nos pharmaciens qui avaient déjà eu du mal à se remettre de la première vague de contrôles initiée à partir de mi 2010.

Petit retour en arrière. On se souvient que, à cette époque, l’administration des douanes avait déclenché des contrôles à tout va dans les officines de certaines régions françaises, reprochant aux pharmaciens de ne pas appliquer correctement la législation relative à la vente d’alcool à 90° en pharmacie, sur la base d’une interprétation plutôt trouble de l’article 302 D bis du CGI, et alors que sa nouvelle vision de ce texte n’avait jamais fait l’objet d’une communication officielle à quiconque. Selon l’administration, ce texte ferait interdiction aux pharmaciens de vendre de l’alcool à 90° en franchise de droits d’accises, l’exonération de ces droits étant strictement conditionnée à une utilisation de l’alcool dans l’enceinte même de la pharmacie. Bref, était seulement tolérée l’utilisation de part et d’autre du comptoir (préparations officinales, nettoyage des locaux et du matériel), mais pas les ventes à emporter. C’était plutôt gênant puisque, en 1999, une note officielle des douanes avait autorisé les pharmaciens à procéder à des ventes faites dans un cadre médical ou pharmaceutique.

Ces contrôles avaient suscité un vif émoi au sein de la profession au point qu’une rencontre avait été organisée, en juillet 2011, entre la direction générale des douanes et les représentants de la profession pour tenter d’apaiser les esprits. Cela avait débouché sur un petit mea culpa des douanes (sans aller toutefois jusqu’au « pardon ») avec la publication d’un vade-mecum des conditions d’utilisation de l’alcool à 90° en franchise de droits d’accises, celle-ci recommandant au passage à ses agents de faire preuve de modération dans leurs contrôles compte tenu du flou qui avait entouré cette réglementation et son application dans le passé.

À la suite de cette rencontre, le législateur, ayant reconnu de lui-même l’existence d’un véritable imbroglio juridique, avait décidé de s’emparer du sujet pour mettre un peu « d’eau dans le vin ». C’est ainsi que l’article 302 D bis du CGI fut modifié par l’article 24 de la loi du 14 mars 2012 (deuxième loi de finances rectificative) autorisant les pharmacies d’officine à vendre de l’alcool à 90° en exonération de droits d’accises dans la limite d’un contingent annuel. Fait exceptionnel, le législateur avait souhaité que cette modification s’applique dès 2002 (application rétroactive), manière élégante de sanctionner les douanes et leur interprétation des textes en zigzag. Fait dommageable, l’article modifié laissait à l’administration des douanes le soin de fixer ce contingent annuel. C’était là sans doute accorder trop de confiance aux douanes qui n’en demandaient pas tant.

Deux ans après la modification de l’article 302 D bis du CGI, le contingent annuel n’ayant toujours pas été fixé par les douanes, celles-ci ont cru bon de remettre le couvert, non sans une pointe d’ironie pour justifier ce come-back : le contingent n’ayant pas été fixé, l’article 302 D bis du CGI modifié en 2012 n’est donc pas applicable.

Voilà une administration qui OSE ! Cette administration n’ayant peur de rien (ça, on le savait déjà), elle va même jusqu’à contester la conformité de la loi (article 302 D bis modifié du CGI) à la directive communautaire, loi qu’elle est pourtant censée faire respecter. Les douanes auraient-elles, elles aussi, décidé de s’indigner contre les institutions de notre pays dont elle n’est pourtant que l’émanation ?

Voilà de quoi avoir la gueule de bois. C’est peu de le dire.

STÉPHANE BOILEAU AVOCAT AU BARREAU DE REIMS

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3089