LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN. - En quoi consiste le décalage entre le prix de cession et la valeur économique des officines ?
ALAIN MINY. - Il y a aujour-d’hui un conflit d’intérêt entre le cédant d’une officine, qui se réfère à une valeur patrimoniale, et l’acquéreur, qui a pour référence une valeur de rentabilité. Aujourd’hui, la distorsion entre ces deux approches est trop importante, et elle est maintenue de façon artificielle par de nombreux intervenants dans la profession. Or, si l’on regarde ce qui s’est passé depuis une dizaine d’années, on constate un affaissement important des marges brutes et des rentabilités des officines, alors que, dans le même temps, les valeurs de cession se sont maintenues. Les seules dérogations à cette règle sont les suivantes : les valeurs sont désormais pondérées entre les tailles de pharmacies, et les valeurs « exotiques » ont quasiment disparu du marché.
Comment le marché a-t-il supporté cette distorsion jusqu’à présent ?
Deux types de solutions ont été mis en œuvre. Premièrement, les pharmaciens ont réduit les coûts en personnel pour maintenir la rentabilité et couvrir l’emprunt. Ensuite, les officines sont massivement passées à l’impôt sur les sociétés, ce qui a permis des économies de trésorerie, non seulement sur la fiscalité, mais surtout sur les charges sociales. En effet, à l’impôt sur le revenu, le titulaire paie au final des charges sociales sur le remboursement de l’emprunt, alors que sous le régime de l’IS, les charges sociales ne sont dues que sur les rémunérations versées aux dirigeants.
Mais ces économies réalisées ont été reversées, puisque les valeurs des fonds ont été maintenues et que, en pratique, les pertes de rentabilité des pharmacies n’ont pas été retranscrites. En fait, les économies sur les coûts sociaux ont masqué la dégradation réelle des exploitations. Et c’est pourquoi, sur ces bases, les valeurs des officines ont été maintenues.
Qu’aurait-il fallu faire alors ?
Pour ma part, je pense que l’on aurait dû enregistrer les pertes de rentabilité et les traduire en valeur d’exploitation. Pour dire les choses simplement, les valeurs vénales auraient dû diminuer pour enregistrer les baisses de rentabilité.
Pourquoi cela n’a-t-il pas été le cas ?
Je pense que c’est un problème d’environnement et d’accompagnement des pharmaciens. On a voulu maintenir les valeurs d’exploitation en se référant aux valeurs patrimoniales, alors que celles-ci sont de moins en moins cohérentes avec la rentabilité.
En outre, on constate aujourd’hui un nouveau phénomène, à savoir des pertes de chiffres d’affaires. Dans ce contexte, certains pensent que les rentabilités vont néanmoins pouvoir se maintenir. Mais, en réalité, si l’on ne tient pas compte, dans l’analyse des marges brutes, des remises arrière sur les médicaments génériques, les rentabilités se dégradent. On peut même dire que cette dégradation a été masquée, depuis deux ans, par les remises arrière sur le générique. Or ces remises ne sont qu’un accessoire de la rentabilité et risquent, à terme, de disparaître.
Dans les années qui viennent, les pharmaciens seront donc peut-être confrontés à une vraie baisse de la marge brute. La véritable rentabilité des officines apparaîtra alors, et il faudra bien la traduire dans les prix de cession.
Un autre phénomène fréquent actuellement est l’allongement des prêts pour le financement des fonds ou des parts de société. Qu’en pensez-vous ?
En effet, certains prêts pour le financement des fonds sont portés aujourd’hui de douze à quinze ans. C’est très dommageable, car cet allongement continue d’engendrer une valeur économique qui n’est pas rationnelle. On ne peut pas compenser la perte de valeur économique par un allongement de la dette.
Quelles sont les conséquences, pour l’acquéreur, de cette restructuration de la dette ?
La position de l’acquéreur est encore plus précaire du fait de l’allongement du prêt. Financer l’acquisition d’une officine sur un cycle économique de quinze ans est incohérent, surtout lorsque l’officine a un potentiel de croissance très limité. On finance sur quinze ans des industries, mais pas des commerces de proximité. En allongeant la durée des crédits des officines, on ne rend service à personne. Le cycle économique d’une officine est de douze ans au maximum, et les prêts aux officines doivent s’ajuster sur cette durée.
Notez par ailleurs que les valeurs de marché ayant été conservées mais avec une baisse de la rentabilité, les acquéreurs ont désormais besoin d’un apport personnel plus important que par le passé. Or lorsque le financement de l’officine n’est pas possible avec un apport de 25 à 30 %, c’est que le prix proposé n’est pas en adéquation avec sa rentabilité.
Faut-il craindre alors une multiplication des défauts de paiement ?
Oui, surtout si la croissance de l’activité doit encore stagner. En outre, si l’on continue à avoir une dégradation de la rentabilité et une panne de croissance de l’activité, la valeur de l’outil professionnel sera très faible au terme du délai de quinze ans.
Enfin, et peut-être surtout, l’allongement des prêts à quinze ans est la dernière ressource disponible. On a déjà agi sur tous les autres curseurs : celui des frais de personnel, celui des cotisations personnelles du pharmacien, et un peu celui de la fiscalité de l’IS. Après l’allongement à quinze ans des prêts, il faudra bien se résoudre à la baisse de valeur des fonds, qui sera le seul vrai curseur encore disponible.
Sur un autre plan, les valorisations des officines sont aujourd’hui très contrastées selon leur taille. Cela veut-il dire que les petites officines sont devenues moins rentables ?
En fait, on assiste depuis deux ans à une évolution des stratégies commerciales. Dans les grosses officines, il y a désormais une stratégie de remises de prix sur la médication familiale – et sur l’ensemble des gammes –, alors qu’auparavant il n’y avait que des opérations promotionnelles. La conséquence est que l’officine traditionnelle a de plus en plus de mal à lutter sur le secteur du médicament-conseil, qu’elle perd des parts de marché.
On risque ainsi d’assister, à terme, à une paupérisation de la pharmacie traditionnelle, qui se verra privée d’une partie de ses ventes de médicament-conseil au profit des pharmacies plus importantes.
Encore une fois, la sagesse serait d’enregistrer cette situation dans l’approche des valeurs économiques de cession.
En conclusion, comment voyez-vous l’avenir de la profession de pharmacien ?
On peut se demander si la profession ne va pas subir une importante mutation. Au lieu de s’installer à titre individuel, il faudra peut-être s’installer obligatoirement en association, et se préparer davantage à une vie d’entreprise commerciale qu’à un exercice libéral individuel. Cette transformation demandera une formation spécifique du futur pharmacien et une intégration de cette formation dans le cursus universitaire.
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