Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes… jusqu’en 2008. Jusqu’à la crise. Bien que le secteur ait été relativement épargné par « la grande récession », il perd à ce moment-là sa sérénité. Alors que la trésorerie officinale vire doucement vers le rouge, le gouvernement met les bouchées doubles pour réduire les coûts.
Après avoir courbé l’échine en espérant des jours meilleurs, il a fallu se rendre à l’évidence : il n’y aura pas de retour en arrière. Il faut s’adapter. Et saisir toutes les planches de salut qui se présentent, telles la loi Hôpital Patients Santé Territoire (HPST) de 2009. La solution s’est progressivement dessinée en faveur d’une différenciation à valeur ajoutée : la pharmacie doit se spécialiser et valoriser l’expertise officinale.
À l’affût des nouvelles tendances du marché, les groupements ont rapidement compris le sens des bouleversements à venir. L’offre de services doit s’étoffer et atteindre un haut niveau de qualification pour le pharmacien et son équipe. « Les groupements présentent l’avantage aujourd’hui de proposer à leurs adhérents des services qui leur permettent de mieux appréhender l’évolution de leur métier », souligne Lætitia Hible, présidente de Giphar.
Dans ce cadre, le réseau promeut auprès de ses adhérents le conseil, les services, la formation et la labellisation, tout en visant cinq grandes priorités : la vaccination, le sevrage tabagique, la prise en charge du patient cancéreux, du patient diabétique et de la personne âgée. Pour y parvenir, il accompagne les pharmaciens avec un large éventail de services clés en main.
Le maître mot est la diversification. Car le pharmacien ne peut plus compter sur le seul médicament remboursé, dont le chiffre d’affaires est en constante régression. Il est de bon ton de développer le marché de la médication officinale, et même parle-t-on désormais du marché du selfcare, incluant également les compléments alimentaires et les dispositifs médicaux non remboursés disponibles sans ordonnance, et dont les perspectives de progression sont supérieures à celles de la médication officinale.
Christian Grenier, président de Népenthès, prédit que l’activité officinale en 2020 se répartira à parts égales entre le générique, le princeps, la parapharmacie, les produits à la marque et l’automédication ; les trois derniers segments étant des « contributeurs de marge et les garants du trafic à l’officine ».
Croissance à deux chiffres
Autres segments à forte valeur ajoutée : le maintien à domicile (MAD) et la préparation des doses à administrer (PDA). Nombre de groupements et de grossistes-répartiteurs occupent le marché du MAD, voire de l’hospitalisation à domicile (HAD), de longue date. Oxypharm (Astera), Alcura (Alliance Healthcare), Facilôdom (Giphar Group), pour ne citer que ces filiales, misent sur le pharmacien pour développer leur offre.
La croissance à deux chiffres de ce secteur devrait motiver les officinaux à réinvestir ce marché hors monopole et ne pas le laisser aux mains de prestataires non professionnels de santé. L’Observatoire régional de la santé des Pays de la Loire vient d’ailleurs de publier une étude sur un panel de 370 titulaires qui affirment à l’unanimité que le MAD est porteur d’avenir.
Côté PDA en revanche, seuls 42 % la pratiquent, 72 % évoquent le frein financier au développement de l’activité et 36 % estiment qu’une rémunération serait justifiée. Or, la PDA est la porte d’entrée aux EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), un segment de marché fort intéressant au regard du vieillissement de la population. Selon le Centre de réflexion, d’étude, d’expérimentation, de développement et d’observation de l’officine (CREEDOO)*, bureau d’étude du réseau IFMO, 3 600 titulaires seraient impliqués et entre 300 et 400 officines auraient investi pour rester compétitifs.
Le hic ? Malgré des réponses ministérielles et une jurisprudence qui confirment la PDA comme étant une activité revenant de droit au pharmacien, le cadre réglementaire reste flou, dans l’attente du décret sur le pharmacien référent en EHPAD et de l’arrêté de bonnes pratiques de la PDA. Les syndicats de pharmaciens et l’Académie de pharmacie réclament des éclaircissements et un cadre clair.
La présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP), Isabelle Adenot, vient d’ailleurs d’annoncer son intention de saisir le Conseil d’État pour débloquer les retards pris à la publication d’un certain nombre de textes essentiels à l’exercice de la pharmacie. En attendant, le CNOP a publié une série de recommandations pour pratiquer une PDA sécurisée.
Évolutions sociétales
Domaine globalement incontournable, la digitalisation peine encore à trouver sa place en pharmacie. Pourtant le champ est vaste, du site d’e-commerce aux objets connectés. « Nous devons installer durablement le pharmacien dans le système de santé et dans la santé connectée afin d’être en phase avec les évolutions sociétales », explique ainsi Lucien Bennatan, président de Pharmacie Référence Groupe.
Car l’un des enjeux fort de la e-santé est pour le pharmacien d’instaurer un suivi personnalisé via des outils connectés, dont le but est d’améliorer la prise en charge des patients chroniques. Voire de faciliter le passage d’une logique curative à préventive. Mais avant d’en arriver là, les premières étapes de la digitalisation passent par un site internet animé et informatif, pourquoi pas tourné vers la vente en ligne ou à défaut vers la réservation de produits délivrés en pharmacie.
Nombre de groupements proposent désormais à leurs adhérents une borne digitale dans l’officine et même des tablettes tactiles. Selon son degré d’équipement, le pharmacien peut aussi mettre en place des linéaires virtuels (Giropharm, Pharmacie Référence Groupe…) ou des vitrines connectées (Népenthès).
Outre un aspect moderne, l’ensemble de ces outils doit avant tout mettre en avant le positionnement de la pharmacie. Chez Pharmacie Référence Groupe par exemple, les outils digitaux soutiennent le développement des services comme les conseils santé, les tests, tout en apportant des plus : gérer la file d’attente, faciliter la prise de rendez-vous, accéder aisément aux promotions et aux exclusivités.
« Nous devons renforcer la notion de service, de prix, de digitalisation du point de vente et de proximité, notamment avec les entretiens pharmaceutiques et les entretiens avec une diététicienne. Nous devons également participer à la prise en charge de l’ambulatoire, avec des offres d’audit du domicile et de location et vente de matériel de maintien à domicile », résume Lucien Bennatan.
Au-delà de l’utilisation du numérique dans les pratiques de travail, le pharmacien doit garder à l’œil le marché des objets connectés, souvent liés à la santé mais vendus par des prestataires sans aucun lien avec le domaine. Une place à prendre ! Reste à définir la liste des objets que les pharmaciens pourraient proposer, tout comme les prestations associées.
« La pharmacie 3.0 a pour but d’améliorer la relation patients, les objets connectés sont un outil pour y parvenir. Le pharmacien a un avantage important face à tous ses concurrents dans ce secteur, il ne fait pas que vendre un objet, il offre un service », remarque Caroline Blochet, présidente de la société Medissimo.
Droit de communiquer
Côté services, certains deviennent incontournables, comme les entretiens pharmaceutiques, d’autres doivent être choisis selon ses propres affinités, le type de l’officine et de sa zone de chalandise. C’est le cas par exemple de l’éducation thérapeutique du patient (ETP), d’accompagnements spécifiques en nutrition, pour les patients cancéreux, pour les patients diabétiques, en termes d’iatrogénie de la personne âgée…
Giropharm pousse ainsi les officinaux à s’investir dans l’ETP, par le biais de formations pointues, en droite ligne avec les études observationnelles sur la plus-value du pharmacien dans l’amélioration de l’observance qu’il met en place avec le groupe Giroprevent. Car il veut faire de ses adhérents des pharmaciens cliniciens plaçant le patient au cœur de leurs réflexions, pour un meilleur suivi quelle que soit la pathologie et une prise en charge optimale, y compris en sortie hospitalière.
Les TROD ou tests rapides d’orientation diagnostique, vont dans ce sens. Les officinaux n’ont pas compris qu’on leur retire le droit de les réaliser en pharmacie au nom d’un vice de procédure. L’annulation de l’arrêté encadrant cette pratique par le conseil d’État en avril 2015 a mis un coup de frein à une pratique de prévention et de dépistage appréciée. Un coup dur au même titre que l’abandon du projet de vaccination contre la grippe à l’officine.
Au-delà des diverses implications dans de nouvelles missions et services innovants, ce qui manque encore au pharmacien pour véritablement se différencier, c’est le droit de communiquer. Au grand dam des groupements, toujours plus nombreux à réclamer la possibilité de mettre en avant les savoir-faire. « Les nouveaux services doivent être associés à des formations reconnues, et donc à un système d’évaluation et de labellisation des niveaux de compétence… et donc forcément au droit de communiquer pour informer le patient-consommateur des services existant dans telle pharmacie », défend Lætitia Hible.
Une évidence pour la chambre syndicale des groupements et enseignes Federgy, qui a proposé un ensemble de mesures à l’Ordre des pharmaciens pour faire évoluer la communication des pharmaciens. D’autant que des secteurs concurrents, comme la GMS et les parapharmacies, sont eux libres de communiquer. « Certains pharmaciens cèdent à la tentation de copier les méthodes de la GMS, mais ils banalisent le médicament et le métier de pharmacien », entend-on chez Giphar. La revendication repose donc sur le droit de se battre à armes égales. Mais pas n’importe comment.
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