Prévue par la Loi de Santé de janvier 2016 (article 139), l'ouverture du capital d'une SEL (société d'exercice libéral) de pharmacie aux adjoints salariés n'est toujours pas possible faute de parution du décret d'application. « Les textes ont été soumis à l'Ordre à l'automne. Ils devraient paraître prochainement », espère Jérôme Parésys-Barbier, président du conseil central de la section D. Selon cette nouvelle disposition, les adjoints pourront acquérir jusqu'à 10 % du capital de l'officine où ils exercent, tout en conservant leur statut de salarié.
Un concept nouveau
L'ouverture du capital de l'officine aux adjoints salariés est indirectement possible par le biais des SPFPL (sociétés de participations financières de professions libérales) depuis 2013. Cinq ans après, elle est cependant anecdotique. Selon l'Ordre, le nombre d'adjoints engagés dans le capital d'une holding n'atteindrait pas cent. « C'est un concept nouveau. Les pharmaciens ont longtemps exercé en nom propre. Contrairement à d'autres professions libérales réglementées, les mentalités ne sont pas encore imprégnées des règles du jeu de l'exercice en société et les pharmaciens n'ont pas encore appréhendé le phénomène de l'intégration progressive. Mais la profession a su faire preuve de réactivité dans ce domaine et la situation peut évoluer rapidement, comme le prouve le développement récent mais rapide des SEL », commente Luc Fialletout, Directeur général d'Interfimo.
Pas à pas vers l'association ou l'acquisition complète
L'atout majeur de cette nouvelle disposition est de permettre à l'adjoint de conserver son statut de salarié tout en devenant associé. « Un adjoint peut depuis toujours prendre une part significative au capital d'une société mais, dans ce cas, il accepte en contrepartie de perdre la protection liée au contrat de travail. Le dispositif proposé par la Loi de Santé est novateur uniquement sur le fait qu'il permet de maintenir le salariat », souligne Philippe Becker, directeur du département pharmacie chez Fiducial. Pour Luc Fialletout, « c'est un moyen pour l'adjoint de mettre un pied dans le statut d'associé sans en subir les inconvénients sur l'aspect social ». C'est aussi une réponse au renouvellement générationnel, comme l'expose Philippe Becker : « Le nombre de départ en retraite à venir est très significatif et il faut d'ores et déjà anticiper leur remplacement. Ce dispositif a pour ambition de susciter des vocations, et de permettre à des adjoints de franchir une première marche vers l'entrepreneuriat. » Une analyse que partage Jérôme Parésys-Barbier : « C'est une démarche gagnant-gagnant. Pour l'adjoint, elle offre l'opportunité de s'affirmer et de se projeter dans l'avenir. Pour le titulaire, c'est rassurant de s'associer, même de façon minoritaire au début, avec un partenaire de confiance. L'entreprise elle-même y gagne en stabilité. » L'ordinal y voit un moyen supplémentaire de préserver le maillage territorial, en offrant des perspectives d'avenir aux officines existantes, quel que soit leur profil.
La transmission en souplesse ne convainc pas tout le monde
Pour d'autres au contraire, cette disposition, tentante sur le papier, apparaît sans intérêt, voire risquée. « L'acquisition progressive directement par l’adjoint l’expose à des endettements successifs, ce qui peut limiter, à terme, sa capacité à investir. En outre, il se pose un problème fiscal lié à la valorisation de la société. Elle ne doit pas être sous-évaluée de sorte à ne pas risquer une requalification en donation déguisée », explique Me Sylvie Mas-Petit, avocat spécialisée dans le secteur de l'officine. Le seuil de 10 % reste également controversé. « On aurait aimé que la limite de participation au capital soit un peu plus haute, à 15 ou 20 % pour accélérer le processus », avance Philippe Becker.
Un avantage qui peut devenir un frein
En outre, les statuts d'associé et de salarié sont-ils réellement compatibles ? On peut s'interroger sur la capacité d'engagement d'un adjoint associé qui reste protégé par son contrat de travail. « Être associé dans une société libérale impose de penser différemment son implication dans l'entreprise, notamment en termes de rythme de travail, de prise d'initiative », prévient Me Mas-Petit. Antoine Garnier, gérant de Pharexcel, émet lui aussi des réserves : « Ce dispositif peut avoir un effet bloquant, et compliquer le processus en cas de vente ultérieure de la pharmacie. En outre, il est important de s'interroger sur la motivation du titulaire vis-à-vis de son adjoint. S'il souhaite en faire son associé en vue d'une transmission à terme, autant prévoir d'emblée une association. Aujourd'hui, nous disposons de solutions efficaces pour aider les jeunes pharmaciens à s'installer, même avec un apport limité. En revanche, si l'entrée au capital est uniquement un moyen de bonification et de fidélisation, il est préférable de recourir à d'autres solutions, comme l'intéressement ou une augmentation de la rémunération. »
Associé minoritaire
Le DG d'Interfimo, lui, n'imagine pas qu'un titulaire s'engage dans cette voie sans avoir l'intention de faire monter son adjoint au capital de l'officine par la suite, en vue d'une transmission ou d'une association plus équilibrée : « Cela ne serait pas cohérent. L'intérêt de cette phase préalable est surtout de permettre à l'adjoint de s'imprégner de la gestion et de la stratégie de développement de l'entreprise. C'est une sorte de période probatoire, avant de s'engager entièrement. » Quant à Nicolas Baldo, expert-comptable associé KPMG entreprise, il y voit un avantage pour entreprendre une acquisition sans apport financier : « Si le titulaire accepte d'être payé sous forme de crédit vendeur, cela permet d'acter la cession de part mais de différer le paiement. L'adjoint n'a donc pas besoin d'emprunter dans un premier temps ; il financera son acquisition au fil de l'eau via les dividendes reçus, avec une fiscalité attractive dans sa SPFPL constituée pour l'occasion. Un emprunt sera réalisé lorsqu'il sera prêt à acquérir davantage de parts et aura constitué un apport minimum. » Si l'adjoint devient associé, même minoritaire, il doit assumer ce nouveau rôle. Qui dit association dit précaution, anticipation. « Même à 10 %, il est important de prévoir et d'organiser l'association, et notamment la séparation si une des deux parties ne souhaite pas aller plus loin. Le décret à venir devrait préciser les conditions d'interruption de ce processus. Avant de s'engager, il est indispensable que les deux parties s'entourent d'experts. Il faut alors distinguer l'aspect financier, qui est plus du ressort de l'expert-comptable, et l'aspect juridique de l'association avec un avocat », conseille Luc Fialletout.
Quel que soit le modèle d'association choisi, le pacte d'associé est un élément incontournable. « Il doit permettre de gérer intelligemment la sortie en cas de problème, de mésentente voire de faute professionnelle », conclut Philippe Becker.
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