SCHÉMATIQUEMENT, les rôles sont généralement plus définis dans une grande officine, alors que chacun est amené à toucher à tout dans une petite pharmacie. Mais les expériences divergent. Selon le choix de vie, le caractère et l’envie du pharmacien adjoint, il pourra être heureux de travailler dans une très grande officine, ou au contraire se sentir plus à l’aise et épanoui dans une équipe moins étoffée. C’est le cas de Paul*, 36 ans, qui a travaillé dans une très grande pharmacie du sud de la France et n’a pas aimé l’expérience. Dès le début, il n’a pas trouvé de cohésion d’équipe face à un turn over élevé, et il a perdu toute motivation à s’investir auprès des patients. « Je me sentais comme un pion, un salarié comme un autre, dilué dans la masse, un simple numéro. Je n’allais plus travailler avec plaisir et je perdais tout l’intérêt que j’avais pour mon métier. J’ai déjà entendu le titulaire reprocher à l’équipe de manquer d’initiative, mais finalement on nous avait tous mis dans le même moule, et la démotivation était la règle. Je suis resté quelques mois, jusqu’à ce que que je me rende compte que je n’avais pas fait pharma pour ça. Je suis parti et je me suis juré de ne plus jamais travailler dans une très grosse pharmacie. »
Des propos qui rejoignent ceux d’un titulaire d’une très grande pharmacie en proche banlieue parisienne. Louis* a racheté son officine en 1994 et comptait alors sur une équipe de sept à huit personnes. « À cette époque, la gestion du personnel était simple, mais ce n’est pas beaucoup plus compliqué aujourd’hui. La pharmacie a grossi petit à petit, et vingt ans après, j’ai 30 personnes dans mon équipe. Je suis dans un centre commercial dynamique, donc j’ai mis en place une gestion officinale dynamique, mais l’essence de mon métier n’a jamais changé, je fais toujours du comptoir, du conseil, l’accueil du patient-client est primordial. » Louis répartit la gestion des laboratoires entre les différentes personnes de l’équipe et il tente de les inciter à prendre d’elles-mêmes des initiatives. « Malheureusement, je n’obtiens pas l’effet escompté. C’est plutôt moi qui essaie de responsabiliser, de donner des missions. Mon sentiment c’est que le niveau d’implication des adjoints est moins fort dans une très grande pharmacie. J’aimerais avoir plus de spécialisations dans mon équipe, mais je n’y parviens pas. » Le fait d’être dans une équipe étoffée a, dans ce cas, pour effet de diluer les responsabilités, personne n’est vraiment responsable de quoi que ce soit.
Cas d’école.
L’expérience de Marianne* ne semble pas meilleure. Elle a exercé dans une pharmacie de centre commercial pendant un an, et le seul avantage qu’elle en retire est l’apprentissage rapide grâce à « un éventail d’ordonnances traitées en très peu de temps » et le fait d’avoir « travaillé avec un employeur stalinien : sur un CV, ça le fait ! » Mais les désagréments sont nombreux : « le temps consacré pour chaque ordonnance est chronométré » et les adjoints ont un graphique journalier avec la moyenne d’attente des clients par tranche horaire. Marianne reste choquée par le fait que « les reproches pleuvent si le temps d’attente moyen est supérieur à 7 minutes » et que, chaque jour, « un adjoint différent est désigné responsable du temps d’attente ». C’est un cas d’école que la pharmacienne livre : « respect du patient inexistant, pression du chiffre élevée, fatigue nerveuse et stress des employés, dégradation du métier de pharmacien vis-à-vis du public, absence de prime malgré un travail soutenu, pratiques pharmaceutiques illégales et zone de non-droit du travail. »
Heureusement, d’autres expériences montrent au contraire une belle implication de pharmaciens adjoints au sein d’une très grande pharmacie. Et une bonne cohésion d’équipe. Comme dans cette pharmacie canadienne où les 22 employés se cotisent chaque année à Noël pour jouer ensemble au loto… et ont gagné un demi-million de dollars canadiens l’an dernier. C’est le titulaire qui a découvert le ticket gagnant et prévenu chaque personne de son équipe avec beaucoup de joie…
À la Pharmacie Principale de la Porte d’Orléans, dans le 14e arrondissement de Paris, le titulaire, Alain Maman a débuté dans une officine plus petite, en association avec un autre pharmacien. Il est ainsi passé d’une équipe de 4 personnes à l’époque à un effectif de 16 aujourd’hui. « Nous ne sommes vraiment pas formés au management à la base, il faut donc apprendre et je n’ai pas hésité à faire des formations, à partir en stage, j’ai même suivi un module HEC, j’ai participé à un grand nombre de formations proposées par les laboratoires, et j’ai aussi profité de celles de mon groupement, Univers Pharmacie. J’ai beaucoup appris et c’était nécessaire car on ne gère pas de la même façon une équipe de 4 personnes et une équipe de 16 ! » Alain Maman a néanmoins conservé son côté paternaliste, les membres de son équipe sont un peu comme ses enfants, il les couve, les aide, les pousse, les tutoie… « Je ne devrais peut-être pas, mais je n’arrive pas à faire autrement, c’est mon caractère. » La gestion d’une entreprise de quatre personnes se passait donc avec beaucoup de naturel : « On se fait la bise, on est arrangeant les uns avec les autres, chacun peut plus ou moins avoir des desiderata, on trouve des solutions facilement… Ce n’est pas possible dans une grande structure, là il faut des règles, suivre la législation à 2000 %, des protocoles, des réunions… »
Réorganisation.
Lors de la dernière réunion, Alain Maman a annoncé à son équipe que son officine allait désormais ouvrir la nuit, ce qui exige toute une réorganisation des horaires. C’est le référent du personnel qui est chargé de mettre en place la nouvelle organisation, en essayant de tenir compte des contraintes des uns et des autres. « Ils savent qu’on doit être quatre le matin et six ou sept l’après-midi, mieux vaut qu’ils arrivent à s’arranger entre eux, sinon c’est moi qui trancherai, et ce sera forcément au détriment de certains. » Quant à la répartition du travail, là encore un ensemble de règles a été mis en place pour rendre chacun responsable et avoir une solution au moindre problème. Par exemple, un système de binômes a été instauré. « J’ai quatre adjoints, qui travaillent donc en binôme, et cela fonctionne bien. Au niveau du travail, je leur demande de savoir tout faire, justement pour ne pas être coincé s’il y a un absent. En 2011, l’une de mes anciennes adjointes, une personne remarquable, a rédigé tous les protocoles pour tout acte à effectuer, que ce soit pour respecter la chaîne du froid ou faire la fermeture de la pharmacie, tout est noir sur blanc, ce qui permet à tout le monde de tout faire, même s’il n’a pas été renseigné au préalable. »
Alain Maman a aussi réparti la gestion des laboratoires entre les différentes personnes de l’équipe, il se charge pour sa part des marchés les plus importants. De même il laisse à son équipe le soin de s’occuper des linéaires et du merchandising, lui fixe les prix. « L’avantage d’une grosse structure c’est aussi que nous avons deux manutentionnaires et une personne qui nettoie, l’équipe ne se charge jamais du remplissage de rayons et cela lui permet de se concentrer sur d’autres missions à valeur ajoutée. Nous faisons des animations, des rendez-vous en cosméto par exemple, c’est une préparatrice qui s’en charge. Cela est possible uniquement dans une grande structure. »
Pour le titulaire, la grande ou très grande pharmacie est donc le modèle idéal et il pousse d’ailleurs les jeunes pharmaciens à y travailler. « Pour les étudiants en stage, il est forcément beaucoup plus formateur d’être dans une pharmacie qui voit passer 1 000 ordonnances par jour plutôt que 50. Tous les jours on voit des cas, des situations différentes. Un stagiaire, après son passage chez moi, est prêt à s’installer ! » Et Alain Maman est prêt à l’y aider.
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