Le Quotidien du pharmacien.- Plus de 20 ans après l'apparition des SEL, ces structures ont-elles, selon vous, répondu aux attentes ?
Philippe Becker.- Les récents chiffres publiés par l'Ordre des pharmaciens attestent, si besoin était, du fulgurant succès de la SEL. Il faut néanmoins souligner que ce n’était pas gagné car, pendant presque huit ans, les pharmaciens ont boudé ce type de structures juridiques.
Comment expliquer ce faible engouement au début pour les SEL ?
C'était nouveau, dans un contexte où la société en nom collectif avait pris une large place dans le monde officinal. Le choix de la SEL impliquait automatiquement d'opter pour l'impôt sur les sociétés (IS) et, dans le milieu des années 1990, le taux de l'IS était égal à 33 % du bénéfice fiscal. De ce fait, pour décider d'aller vers une imposition à l'IS, il fallait que la pharmacie dégage des résultats fiscaux très conséquents, sans quoi il n'y avait pas d’intérêt. À cela s'ajoutait la problématique de la revente dans un contexte où les taux d’intérêt étaient élevés et les frais d’acquisition également. Il faut se souvenir qu'en cas de rachat de parts directement par un pharmacien, celui-ci ne pouvait déduire ni les frais financiers ni les frais liés à l'achat de parts ou action, ce qui constituait un repoussoir ! Les cabinets de transaction, les banquiers et même les experts-comptables étaient, eux aussi, prudents avant de conseiller une telle structure. Cela étant dit, certains se sont quand même lancés dans l’aventure en utilisant la SEL comme outil pour des ventes à soi-même. Ce qui a eu d'ailleurs pour conséquence momentanée de faire monter artificiellement le prix des officines !
Quel a été l'impact de la loi MURCEF* ?
La loi MURCEF a, en quelque sorte, rendu possible ce qui ne l'était pas, mais il a fallu attendre longtemps ! Cependant, c'est juste de dire que cela a créé un déclic dans l’esprit des pharmaciens, surtout ceux qui décidaient d'acheter une officine. Ce texte allait résoudre l'épineux problème de la sortie en créant l'outil juridique manquant : la SPFPL, ou holding. L'accouchement fut long et douloureux puisqu'il a fallu attendre plus d'une décennie pour voir publiés les décrets d’application…
Cela a donc été suffisant pour entraîner le mouvement ?
Oui, mais il est utile aussi de préciser que, entre-temps, le taux de l'IS avait baissé, et que les cotisations TNS avaient énormément augmenté. Progressivement, la balance s'est donc faite en faveur de la SEL et de ses avantages fiscaux et sociaux. Sur ce plan, aujourd'hui, le véhicule juridique qu'est la SEL est le meilleur passeport pour une acquisition standard. Rappelons que le ou les associés payent un IS réduit au taux de 15 % sur une partie du bénéfice (de 0 à 38 120 euros), et que le surplus est désormais taxé à 28 %. Enfin, et ce n'est pas le moindre des avantages, les cotisations sociales des associés sont assises sur leur rémunération uniquement et non pas sur les bénéfices comme dans le cas d'une entreprise individuelle. En ce sens, les SEL ont atteint leur but en facilitant la reprise des fonds officinaux par les nouvelles générations de diplômés.
La SEL était aussi vue comme une « arme » stratégique au départ. Partagez-vous cette analyse ?
Disons que la SEL pour le pharmacien d’officine a principalement permis de conjuguer investissement et exploitation. Cela n'était pas possible avec les formes sociétales anciennes. Mais le décret de 1992 autorisant la création des SEL a été beaucoup moins loin que celui relatif aux SEL de laboratoires d'analyses médicales. Nous restons toujours sur un schéma « une SEL égale une pharmacie ».
Certes, mais grâce aux SEL, un pharmacien peut aider un jeune adjoint à s'installer ou créer un réseau de participations croisées. Peut-on parler de succès en ce domaine ?
On peut parler de succès car la SEL a permis de résoudre la question de l'apport personnel pour des jeunes adjoints qui étaient fort dépourvus de fonds. En ce sens, des projets ont pu voir le jour. Mais il faut aussi parler des dérives que nous avons constatées car à un moment donné, au milieu des années 2000, il y a eu un emballement.
Vous voulez parler des SELAS ?
Notamment. Les SELAS, avec la dissociation capital et droits de vote, mettaient en effet de facto le pharmacien exploitant en situation permanente d'infériorité numérique vis-à-vis de son investisseur. La profession a su réagir et stopper ces montages fictifs. Au-delà de cela, le parrainage d'un adjoint par un pharmacien investisseur, qui est une belle idée à la base, a montré aussi ses limites en cas de mésententes ! Il y a eu pas mal de déceptions et parfois des conflits car les deux associés n'envisagent pas la sortie de l'association avec suffisamment de précision. Les « non dits » en la matière se révèlent être des pièges sur le moyen terme. Dans la majorité des cas, l’investisseur, comme le nom l'indique, souhaite récupérer son apport après une période de 5 à 7 ans. En toute logique, et ce n'est pas péjoratif, il agit comme le ferait un fonds d’investissement. De son côté l’exploitant qui travaille 60 heures par semaine met toute son énergie pour développer l'affaire et joue, lui, sur le long terme.
Les conflits surviennent-ils plutôt lorsque l’investisseur décide de vendre ?
Pas forcément, car il y a un pacte d’associés qui est supposé régler toutes les questions relatives au capital. Si les deux associés décident de vendre en même temps, en général, tout se passe bien. Mais si l’exploitant souhaite ardemment reprendre les titres de son parrain, il y a de grande chance qu'un conflit se déclare, et toujours sur le même sujet : la valeur des titres. Si leur valeur a beaucoup augmenté, l'exploitant, lui, n’entend pas racheter le fruit de son investissement personnel. C'est le conflit travail/capital. Un grand classique dans notre pays !
Il vous paraît donc important de bien rédiger la clause prévoyant le rachat par l'autre associé ?
Tout à fait, et ce n'est pas toujours facile de le faire car le monde officinal bouge beaucoup actuellement, les méthodes de valorisations sont plus sophistiquées qu'avant, mais c'est indispensable.
Selon vous, les SEL seront-elles encore adaptées au paysage officinal dans dix ans ?
Les textes régissant les SEL ont déjà fait l'objet de beaucoup de modifications pour permettre une utilisation optimale de ces structures. Citons la suppression du minimum de détention qui facilite l'intégration fiscale. On peut aussi parler de l'ouverture du capital aux adjoints. Il n'est pas faux d'ajouter que, bien souvent, les experts-comptables, les avocats et les notaires ont souligné la faiblesse de certaines dispositions pour en proposer d'autres plus adaptées. Il faudra donc que ces textes continuent d'évoluer car les changements économiques et même structurels sont rapides. Dans 10 ans, on verra peut-être des SEL avec plusieurs établissements ou ouvrant leur capital à des non-pharmaciens dans le cadre de l'interprofessionnalité. En tout cas, l'outil est assez bien conçu pour pouvoir répondre à ce type d'évolutions si elles sont décidées un jour.
*Loi portant Mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier.
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