Le Quotidien du pharmacien. - Selon le bilan du COP 2015-2018, les objectifs fixés ont été atteints à 88 % au global et à 100 % sur l’axe de la sécurité sanitaire. Est-ce satisfaisant ?
Dominique Martin. - Un COP ne couvre pas toutes les activités de l’agence mais cible des objectifs prioritaires et fixe des indicateurs pour mesurer le travail réalisé. Quand on atteint les 100 % sur plusieurs indicateurs, cela ne veut pas dire que nous avons fait tout ce qu’il y avait à faire dans un secteur. Cela étant posé, oui nous sommes satisfaits du résultat global qui approche les 90 %. L’axe de la sécurité sanitaire était prioritaire, nous y avons consacré beaucoup d’énergie et nous y obtenons les résultats les plus élevés, dépassant souvent les niveaux initialement fixés. Pour donner quelques exemples, nous devions par exemple réussir à respecter les délais de procédure pour les modifications d’AMM (nous en recevons plusieurs milliers chaque année) et pour les demandes d’autorisation d’essais cliniques. Aujourd’hui l’agence est même en deçà des délais à respecter. En revanche, nous travaillons encore à réduire les délais de traitement des demandes d’AMM. Citons aussi la progression de notre présence européenne. Historiquement, la France faisait partie des deux ou trois pays les plus actifs au niveau européen, mais l’affaire du Médiator a déstabilisé l’activité de l’agence. Aujourd’hui nous sommes de retour dans le peloton de tête, aussi bien par le nombre d’AMM centralisées que notre participation au PRAC*, aux arbitrages, aux avis scientifiques… L’ANSM est très impliquée, l’ensemble de son activité européenne a été renforcé et nous allons continuer.
Le COP 2019-2023 prévoit aussi de renforcer les échanges et le partenariat de travail avec les pharmaciens. Comment cela se fera-t-il ?
Les pharmaciens sont l’une des parties prenantes avec lesquelles nous voulions renforcer nos liens et ils le sont encore plus dans le COP 2019-2023. Nous souhaitons développer ces liens avec l’ensemble de la profession. C’est déjà le cas avec l’Ordre des pharmaciens avec lequel nous avons une convention et entretenons un contact étroit, quasi quotidien, ne serait-ce que sur des problématiques comme les rappels ou les ruptures de stock. Nous souhaitons développer des relations du même type avec les syndicats. Nous voulons aussi mettre en place, comme nous l’avons fait avec les médecins, des comités d’interface avec les pharmaciens. Ces comités permettent d’aborder des thématiques importantes pour la profession, comme le libre accès à certains médicaments, et bien sûr les ruptures de stock. Quand nous avons des tensions, comme c’est le cas sur les corticoïdes en ce moment, il est essentiel que nous puissions discuter avec les acteurs de la chaîne du médicament, industriels, grossistes et officinaux.
Sur les quatre dernières années, quelles ont été, à vos yeux, les plus belles réussites ? Celles qui ont permis à l’agence de marquer des points dans le COP 2015-2018 ?
Il y a plusieurs sources de satisfaction. Le fait, comme je le disais, de respecter désormais totalement les délais concernant les modifications d’AMM et les autorisations d’essais cliniques, alors que beaucoup de nos dossiers étaient traités hors délais auparavant, en est une. La certification de l’établissement fin 2018 et une meilleure maîtrise des risques grâce à un système de cartographie et d’analyse des risques pour surveiller le marché, en sont d’autres. Je peux encore citer le renforcement de notre présence au niveau européen, les inspections qui fonctionnent bien, à la fois sur le territoire national mais aussi européen et mondial, avec une présence forte et influente de la France, notre réforme des ATU nominatives qui a permis de simplifier la vie des professionnels et des patients en dématérialisant la procédure.
Et les dossiers sur lesquels l’ANSM aurait pu mieux faire ?
Nous sommes dans un processus constant d’amélioration et devons garder une constante vigilance sur ce que nous avons mis en place. Mon plus grand regret c’est la crise de communication autour du Lévothyrox, l’information n’est pas arrivée jusqu’au patient. Nous en avons tiré toutes les conséquences sur notre façon de gérer et de communiquer, et avons créé le Centre d’appui aux situations d’urgence, aux alertes sanitaires et à la gestion des risques (CASAR) en deuxième partie de COP. Une nouvelle stratégie mise en application à l’occasion du changement de composition de l’antiparkinsonien Sinemet. Cette modification a fait l’objet de discussions poussées avec les professionnels de santé et les patients, à la suite desquelles nous avons décidé de signaler lisiblement sur la boîte le changement de composition. On ne veut surtout pas que les patients apprennent un tel changement après coup, comme cela s’est passé pour le Lévothyrox. Mon regret c’est de ne pas avoir mis en place ces procédures plus tôt. Ma satisfaction, c’est d’avoir su tirer les leçons de cet épisode et d’être désormais capable d’identifier les dysfonctionnements et de changer notre façon de faire.
Par ailleurs, nous avons encore du travail sur nos systèmes d’information, nous devons progresser en matière de dématérialisation. Quant aux ruptures de stock, il reste encore beaucoup à faire. Même si nous sommes loin d’avoir la maîtrise de l’ensemble du problème puisque nous ne sommes ni à la production des médicaments, ni à la fixation des prix, ni à l’organisation de la distribution, nous avons notre place dans la recherche de solutions. Je regrette, collectivement avec d’autres acteurs, que ce problème continue de s’aggraver. La ministre va annoncer un plan sur le sujet à la fin du mois de juin, nous en serons totalement partie prenante.
Quelles sont les actions menées par l’ANSM face à cette problématique des ruptures de stock ?
L’ANSM a été dotée, au début du précédent COP, d’outils nous permettant d’infliger des sanctions financières face à certaines pratiques d’industriels et de grossistes-répartiteurs, et notamment de short-liners, susceptibles de favoriser les ruptures de stock. Nous gérons aussi au cas par cas les pénuries provoquées par un arrêt de commercialisation, comme nous l’avons fait pour l’Extencilline. Nous disposons maintenant de la possibilité de régler quelques situations par le biais de discussions, voire d’une certaine forme de pression sur les industriels, et continuons à chercher des solutions pour améliorer la gestion des ruptures de stock. Nous avons ainsi réalisé une communication de grande ampleur sur les tensions concernant le valsartan, qui dépasse tout ce que tous les autres pays réunis ont pu mettre en place. Une même solution a été mise en œuvre pour les ruptures en corticoïdes et en médicaments dérivés du sang.
Après le relistage mal vécu des codéinés en 2017, les officinaux ont le sentiment qu’on leur fait moins confiance dans leur activité de dispensation. Pensez-vous que le projet de dispensation protocolisée est de nature à les rassurer ?
L’idée de la dispensation protocolisée est une proposition raisonnable des pharmaciens, que je ne commenterai pas car sa réalisation dépend d’une décision politique. Il est important de rappeler que le pharmacien est l’acteur majeur de la sécurité du médicament. Même si cela n’enlève rien à la responsabilité du médecin prescripteur, la délivrance donne au pharmacien un devoir de protection primordial. Le listage ou relistage, qui peut être vu par le pharmacien comme une perte de responsabilité, n’est pas le seul moyen de sécuriser l’accès au médicament. D’autres outils s’appuient au contraire sur le pharmacien. C’est par exemple le cas lorsqu’un médicament disponible en libre accès repasse derrière le comptoir. Pour l’officinal, c’est de la responsabilité en plus. Pour les vasoconstricteurs, nous avons été confrontés à des accidents parfois mortels liés à une sensibilité clinique qui doit être écartée lors d’un examen clinique, c’est pourquoi nous avons fait le choix, dans un premier temps, de mettre en place un renforcement des règles de publicité sur ces produits.
Nous ne voulons pas court-circuiter le pharmacien, au contraire. Le travail mené sur les boîtes de médicaments pour qu’elles soient moins marketing et mettent davantage en avant des informations de sécurité favorise le dialogue patient-pharmacien. Il existe des situations où l’automédication est justifiée, mais il ne faut pas perdre de vue que la France est un pays où on utilise plus de produits de santé que la moyenne, et beaucoup hors indication. La sécurisation des produits de santé touche à la fois le médecin, par exemple lorsqu’on impose une primo-prescription par un spécialiste, et le pharmacien, que ce soit par les conditions de délivrance restreinte comme pour la Dépakine ou le fait de remettre un produit d’automédication derrière le comptoir. Nous agissons sur tous les cliquets, à tous les niveaux, y compris industriel. Nous déconseillons, par exemple, l’usage des marques ombrelles. Et nous menons actuellement un travail pour que le risque de surdosage soit expressément et lisiblement affiché sur les boîtes de paracétamol.
* Comité pour l'évaluation des risques en matière de pharmacovigilance de l'Agence européenne du médicament (EMA).
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