LE TIERS des adjoints s'impliquerait dans des activités hors les murs de l'officine. C'est en tout cas ce qu'ils affirment dans un sondage mené par l'Ordre, en 2006, auprès des pharmaciens de la section D. Parmi leurs centres d'intérêt prioritaires, les réseaux de soins et la dispensation de l'oxygène. Deux domaines dans lesquels ils s'engagent dès lors qu'ils sont disponibles et motivés. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi être compétent et organisé. La mission peut avoir été confiée par le titulaire, mais pas forcément. Claire Filloux est une adjointe de 49 ans. Employée à temps complet, elle assure également depuis une douzaine d'années des cours à la faculté de pharmacie de Limoges (voir le « Quotidien » du 19 janvier 2009). Son désir d'aller au-delà de l'activité au comptoir la conduit, en 2006, à s'impliquer dans le réseau régional de cancérologie Oncolin. « Les officinaux en étaient absents, alors qu'il réunissait, autour des patients, de nombreux médecins spécialistes, souligne l'adjointe. Au départ, j'ai contacté quelques confrères et un noyau s'est constitué. » Aujourd'hui, près de 200 pharmaciens venus de l'officine, de l'hôpital ou du corps des inspecteurs de santé publique y participent. Claire contribue à l'animation du réseau, et notamment à l'organisation des réunions. Certaines sont annuelles, d'autres se tiennent de façon plus régulière, en présence d'un oncologue, de médecins généralistes et d'infirmières. « Tout cela se prépare en amont. La prochaine réunion verra l'élaboration de fiches de distribution pour les médicaments issus de la réserve hospitalière. » C'est la maladie, dans le contexte familial, qui a guidé l'engagement de Claire. « Du fait de mon métier, je pouvais avoir des échanges avec l'oncologue, mais, pour la plupart des patients, c'est beaucoup plus difficile. » Elle réalise alors à quel point elle peut servir de relais entre le spécialiste et le malade. Aujourd'hui, au comptoir, Claire sait encadrer et réconforter les patients, en lien avec les cancérologues. « Nous apprenons à tenir ensemble le même discours », témoigne t-elle.
Autre implication forte en réseau, celle de Sandrine Masseron, en faveur des diabétiques. Elle a valu à notre consœur, jeune adjointe à Paris, de recevoir le Grand prix de l'éducation thérapeutique. Une distinction qui lui fût attribuée, en juin dernier, par le « Quotidien du Pharmacien ».
Des activités chronophages.
Son action n'a pas suivi immédiatement son entrée dans la profession. « Après deux ans d'exercice un peu cantonné au comptoir, je voulais aller beaucoup plus loin dans le suivi biologique et clinique du patient », confie l'adjointe. Avec le réseau Paris Diabète, Sandrine trouve un prolongement judicieux à ses activités officinales. Elle met en place le suivi thérapeutique en pharmacie, déjà effectué par des médecins, des podologues, des infirmières ou des diététiciennes. « Un bilan initial porte sur le niveau de connaissance et de compétence du patient vis-à-vis de sa maladie. » Ces informations sont transmises au réseau, pour alimenter une base de données. Elles sont le support d'ateliers d'éducation thérapeutique, organisés une fois par mois autour d'un pharmacien et d'une infirmière. « Cela permet, par exemple, de rectifier des erreurs sur la manipulation du matériel. Il se déclenche des déclics qu'on ne peut pas provoquer au comptoir. »
Il a fallu un an et demi de travail pour mener ce projet à bien. « Ces activités sont chronophages », admet Sandrine, employée à temps complet. Il y a les réunions entre membres du réseau, de 21 à 23 heures, deux fois par mois. Elles portent sur un thème central, comme la prise en charge psychologique du patient. Il y a aussi des points réguliers sur les travaux en cours, le soir ou l'après midi. « C'est un investissement personnel qui paie au plan professionnel. Cela va très bien avec une activité d'adjoint, qui dégage plus de temps libre. Nous sommes une vingtaine d'officinaux dans le réseau et, pour la plupart, des adjointes ou des cotitulaires », rapporte la pharmacienne, qui ne sait pas encore si elle va s'installer. Ce dont elle est certaine, c'est qu'elle ne pourra désormais plus exercer sans l'appui d'un réseau. La structure lui offre une compensation financière pour son engagement. « Je n'ai pas de rémunération spécifique pour cela de la part de l'officine. Mais on peut très bien imaginer que cela puisse se faire. »
Objectif installation.
L'action en réseau est attribuée à l'un des trois adjoints de la pharmacie de David Thierry et de Vincent Duménil. Installée à Pont-de-Chéruy (Isère), un bourg situé à 40 kilomètres de Lyon, l'officine appartient au réseau Hestoni, orienté sur la prise en charge des toxicomanes. Des formations communes entre médecins et pharmaciens y sont organisées. C'est Raphaël Baillat qui s'y colle. L'adjoint rend compte à ses collègues des différentes réunions et avancées de la structure. Pour leur part, Josselin Boully et Adrien Bozon se chargent de la liaison avec les collectivités. Une maison de retraite et un centre pour handicapés sont approvisionnés par l'officine. « Nous sommes candidats pour mener l'expérimentation du pharmacien référent en maison de retraite », s'enthousiasme Josselin. Il s'agira d'établir une liste de médicaments à utiliser de façon préférentielle, de vérifier les prescriptions et d'assurer le suivi des consommations. L'adjoint effectue également la livraison de matériel médical au domicile. « Les patients voient arriver chez eux une tête connue et ça les rassure », indique t-il. Sa prestation va plus loin que l'installation et la vérification du matériel. « On intervient aussi dans l'environnement médical et social du patient. C'est une gestion intégrale. »
Josselin est amené à s'occuper de personnes en fin de vie, en lien avec le centre de cancérologie Léon Bérard. « C'est une expérience phénoménale au plan professionnel et humain. Les gens sont chez eux, cela casse les barrières du comptoir. Ils sont prêts à se confier, à livrer leurs inquiétudes pour l'avenir. » Évidemment, tout cela prend du temps. L'intervention a lieu 3 à 4 fois par semaine, en début d'après-midi ou en soirée. « Des plages horaires sont fixées, afin de ne pas interférer avec la présence au comptoir. Mais il y a des variations en fonction des besoins. En cas d'urgence, nous sommes sur place très rapidement », explique Josselin. On le sent très motivé. L'adjoint est intéressé à l'évolution de son activité. Il voudrait s'installer dans l'année à venir. « Sans cet objectif, je ferai tout aussi bien le travail pour lequel je suis payé. Je m'investis dans l'officine comme si c'était la mienne. »
Voilà bien la marque d'un management efficace. À la tête d'une équipe de 19 salariés, David Thierry sait donner sa confiance, tout en restant exigeant. L'autonomie est acquise par la démonstration de la compétence. « Il faut faire ses preuves. Il y a des adjoints auxquels je n'ai rien délégué. » L’objectif, à terme, est de les aider à entrer au capital de l'entreprise commune. Le titulaire assure la formation de ses collaborateurs et suit leur progression. « Une réunion hebdomadaire, qui dure une à deux heures, permet de faire le point sur toutes ces activités », précise David Thierry. Le titulaire reprend la main, si besoin. C'est lui qui règle un éventuel problème avec un client, toujours en présence de son collaborateur.
Loin du comptoir.
À 60 ans, Jean-François Poulain est pharmacien responsable de deux structures de dispensation d'oxygène, dans la Somme et en Seine-Maritime. Longtemps titulaire, il était, il y a encore un an, adjoint à temps partiel. Pour combler son emploi du temps et compléter son salaire, il se tourne vers l'oxygénothérapie, dont il est chargé de vérifier l'application des bonnes pratiques de dispensation. « J'y ai pris goût, c'est un métier intéressant, confie Jean-François Poulain. À l'officine, on travaille avec plusieurs milliers de références. Là, il n'y en qu'une, l'oxygène sous forme liquide, gazeuse ou en concentrateur ». Revers de la médaille, dans son activité sous-traitante pour le compte des officines, le pharmacien ne voit que rarement les patients. Ce sont des techniciens spécialisés qui se chargent de l'installation et de la maintenance du matériel. Et c'est au pharmacien d'officine d'exécuter l'analyse de la prescription et les visites à domicile. Cette visite est obligatoire dans le mois qui suit l'installation si la mise sous oxygène dure au moins quinze heures par jour. Un travail de plus en plus confié aux adjoints.
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