PARIS est conquise. La Capitale, jusqu’alors contournée par le réseau, arbore désormais les couleurs du groupe Lafayette. Véronique Merly et Anne Monat, titulaires de la pharmacie des Halles, boulevard Sébastopol dans le 4e arrondissement, viennent de rallier le groupement low cost. C’est la 71e pharmacie de ce réseau qui affiche l’ambition de compter cent officines d’ici à la fin de l’année et deux cents dans trois ans. L’enseigne à la Croix Occitane, créée dans le Sud-Ouest il y a dix ans, essaime sur l’ensemble du territoire sa politique de prix bas. Et son OTC et sa para vendus à profusion (entre 18 000 et 30 000 référencements) à 20 ou 30 % moins chers que la moyenne du marché sèment la panique au sein de la profession.
La grande distribution comme modèle.
Mais ces chiffres ne suffisent pas à expliquer les réactions très vives qui accompagnent chaque ouverture d’une pharmacie Lafayette, parfois même doublée d’une assignation par l’Ordre. Ni à résumer un concept qui puise son inspiration dans les pratiques de la grande distribution.
Paradoxalement, c’est à cette même grande distribution que le modèle prétend faire barrage en faisant aussi bien qu’elle, sinon mieux, en termes de référencement et de prix. Comme elle, la pharmacie Lafayette privilégie le flux, quitte à céder quelques points de marge. Fonctionnant sur le principe d’une activité « de faible marge mais de gros volumes », les pharmacies Lafayette atteignent en moyenne une marge de 20 % et voient en retour leur revenu net augmenter grâce à une flambée du chiffre d’affaires.
Une pharmacie Lafayette totalise ainsi en moyenne 6 millions de chiffre d’affaires par an grâce à une fréquentation de 700 clients par jour. « Depuis mon ouverture il y a un mois et demi, j’ai augmenté ma fréquentation de 30 % », déclare Véronique Merly. Pourtant, le profil de son officine, très fréquentée par les touristes, correspondait déjà à celui d’une pharmacie de flux. Le passage sous la bannière Lafayette lui a néanmoins permis de doubler son offre para.
Mais pas seulement, car comme la grande distribution, les pharmacies Lafayette puisent leur modèle économique dans le « mix produit ». Basée sur un tiers de parapharmacie, un tiers d’OTC et un tiers d’ordonnance, la structure des ventes de ces officines leur permet accessoirement de (presque) s’affranchir de l’assurance-maladie. C’est en tout cas ce qu’assène sans complexe Hervé Jouves, directeur général du groupe Lafayette Conseil, la holding de la « marque enseigne » : « Notre modèle ne veut pas dépendre du ministère de la Santé. »
Des pharmacies de flux et de rotation.
Ce modèle économique peut avoir pour inconvénient d’être très gourmand en capital, comme le remarque un expert-comptable. « Plus une pharmacie s’oriente sur le non remboursable, plus elle s’engage sur un modèle économique de commerce classique », observe-t-il. Avec pour conséquence la nécessité de limiter les coûts de stocks par une forte rotation. « La pharmacie est donc contrainte de créer un appel par le prix, comme dans la grande distribution », conclut-il.
Ne faire que du prix ne reviendrait cependant qu’à faire du discount, un terme que les pharmaciens Lafayette et Hervé Jouves exècrent. Qu’ils le veuillent ou non, ils sont pourtant soumis au même ratio de chiffre d’affaires par mètre linéaire, et aux mêmes exigences de « rentabilité » que la grande distribution. Pour se démarquer encore de la GMS, le groupe mise sur le troisième pilier de son triptyque « choix, prix et compétence ». Il veut capitaliser sur la blouse blanche (en l’occurrence, noire, dans le réseau) pour affirmer le rôle de conseil et de services de son réseau. Éric Milleret, titulaire Lafayette dans le Gers, affirme ainsi proposer systématiquement le dossier pharmaceutique à ses patients !
Hervé Jouves met également en avant un modèle générateur d’emplois diplômés. Argument fallacieux si l’en est, car le nombre d’adjoints reste, quelle que soit la volonté du titulaire, indexé sur le chiffre d’affaires de l’officine… Très intense en back-office, l’activité des pharmacies Lafayette est plus sûrement créatrice d’emplois non diplômés. Une officine normande a ainsi multiplié par cinq ses effectifs, essentiellement dans des postes non diplômés. Aussi, cette masse salariale dimensionnable devient une variable d’ajustement incontournable de ce modèle économique.
Une conception discutable de la pharmacie.
L’ensemble de ces paramètres qui se confondent avec ceux de la GMS, honnie de la profession, catalyse les craintes des autres pharmaciens. « Quoiqu’ils en disent, ils servent le client en trois minutes top chrono. Pour moi, leurs méthodes sont celles de la grande distribution, ce n’est pas de la pharmacie, c’est du Parashop », déclare, lapidaire, Andrée Ivaldi, présidente du syndicat des pharmaciens de Paris, pour décrire ce modèle qui ne correspond en rien à sa propre conception de la pharmacie, « un réseau d’acteurs de santé performants à l’écoute des patients ». Elle ne mâche pas ses mots : « il est dommage d’avoir fait tant d’années d’études pour vendre du shampoing en promo ! ». Et de s’inquiéter, « ces pharmaciens portent atteinte à notre profession, il ne faut pas s’étonner si après on nous qualifie d’épiciers ».
Les titulaires qui ont adhéré à ce concept de bas prix dans un décor minimaliste contestent, bien sûr, ces critiques. Pour ces pharmaciens, la marque enseigne correspond à une évolution qu’ils affirment avoir souhaité imprimer à leur officine et à leur carrière. À Auch, Éric Milleret se défend d’être le fossoyeur de la profession. Pour lui, le concept Lafayette lui a permis d’échapper à la fermeture de son officine.
Quoi qu’il en soit, la progression du modèle Lafayette continue de faire de vagues au sein de la profession. Pourtant, certains experts estiment que la marque enseigne ne serait qu’un « épiphénomène », dont le projet ne vise, au final, que 1 % du parc des officines françaises. L’argument ne rassurera certainement pas les confrères qui exercent à proximité immédiate d’une de ces pharmacies low cost.
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