Chiffre maintes fois répété ces derniers mois : 80 % des principes actifs de médicaments sont désormais fabriqués hors de l’Union européenne. « Alors qu’il y a trente ans, 80 % des principes actifs étaient synthétisés sur le territoire national et 50 % des médicaments vendus en pharmacie étaient fabriqués en France », rappelle Olivier Laureau, président du groupe Servier. Des chiffres à mettre en perspective avec l’étude menée par le cabinet Carefactory sur l’empreinte sanitaire du G5 qui réunit huit laboratoires français *.
Pourtant, selon le fondateur de ce cabinet, Daniel Szeftel, les principes actifs de 87 % des médicaments produits par ces groupes pharmaceutiques ont au moins un site de production en Europe. Par ailleurs, selon l’analyse réalisée à partir de la base de données de l’assurance-maladie, plus de huit patients français sur dix ont consommé au moins un produit de santé du portefeuille des entreprises du G5 en 2018, et plus de la moitié ont recours à l’un de ces médicaments dans le cadre d’un traitement chronique d’au moins 6 mois. Toutefois, l’impact des médicaments du G5 sur l’assurance-maladie reste modéré : ils représentent 18 % des remboursements.
Dépendance sanitaire
Fort de ce constat, le G5 émet une série de propositions « pour rebâtir l’indépendance sanitaire », à commencer par une requête auprès du Comité économique des produits de santé (CEPS) afin que les lieux de production et des investissements en France et en Europe soient pris en compte lors de la fixation des prix. Les entreprises de santé imaginent également la création d’un label « made in Europe », ou encore d'une liste de médicaments essentiels européens, et prônent un moratoire sur les baisses de prix des médicaments à fort enjeu d’indépendance sanitaire.
Pour l’économiste Francis Mégerlin, la problématique n'est pas seulement tarifaire, car les industries de santé sont passées en quelques années d’un enjeu d’accès au marché à celui de l’accès aux produits. Autrement dit, il s'agit de savoir ce qu’il faut rapatrier en Europe et ce qu’il faut y localiser à l’avenir. Des solutions doivent émerger. Ne serait-ce que pour réduire les tensions et les ruptures d’approvisionnement en médicaments dont l’une des causes est bien la dépendance sanitaire. « Ces pénuries ont augmenté de façon exponentielle ces dernières années, souligne Gérard Raymond, président de France Assos Santé. La question c’est de savoir comment y mettre fin. La crise a été un révélateur : nous n’étions pas prêts au plan organisationnel et psychologique. Il y a eu une mobilisation de bonnes intentions, mais pas de véritable construction dans l’organisation. Le problème d’approvisionnement en molécules dont nous avions besoin, l’a démontré. » Et de déplorer que le décret d’application pour la constitution obligatoire de stock de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) en Europe, pour lutter contre les pénuries, ne soit toujours pas sorti. Ainsi, le président de France Assos Santé continue à défendre un équivalent de quatre mois de stock comme prévu initialement dans la loi, et non de deux mois comme le réclament les industriels du médicament.
Plan de relance
Pour l’heure, selon Véronique Trillet-Lenoir, députée européenne et cancérologue, « il faut d’abord identifier les médicaments essentiels, les sites concernés et établir une cartographie européenne pour repérer les trous dans la raquette ». Une stratégie qui consiste à poser un diagnostic pour une meilleure répartition des ressources afin de pouvoir, à l’avenir, mieux anticiper en cas de crise. « C’est ce qui a manqué ces derniers mois. Nous nous sommes trouvés démunis au moment où on avait besoin de nous et on s’est aperçu que nous n’étions pas organisés pour aller vite. Il faut qu’on puisse créer une voie rapide en cas de crise et favoriser un meilleur partage des connaissances entre pays. Il n’y a pas de raison de refaire l’évaluation d’un test diagnostic déjà réalisée dans un pays européen, c’est une perte de temps », illustre Emmanuelle Cambau, PU-PH de microbiologie médicale et chef de service bactériologie à l’hôpital Lariboisière. Un chantier sur lequel l’Europe travaille actuellement.
En France, le plan de relance vise justement à redonner de l’attractivité au pays, notamment en retrouvant une certaine indépendance sanitaire. Une volonté politique bien reçue par l’industrie pharmaceutique. Outre la très médiatisée relocalisation du paracétamol, plusieurs projets ont été lancés ces derniers mois par des entreprises du G5 pour rapatrier certaines substances actives en oncologie, augmenter les capacités de production ou produire des lots cliniques de futurs médicaments. Voire des lots commerciaux si les essais sont concluants.
* BioMérieux, Guerbet, Ipsen, LFB, Pierre-Fabre, Sanofi, Servier et Théa, huit entreprises de santé qui ont choisi la France comme plateforme de développement international.