Et si un régime riche en tryptophane ou des probiotiques interagissant avec l'acide aminé pouvaient diminuer l’inflammation intestinale d’un patient atteint de maladie cœliaque ? C’est une piste thérapeutique suggérée par une étude internationale publiée dans « Science Translational Medicine ».
Pour parvenir à cette idée, les auteurs, qui étudient les mécanismes par lesquels le microbiote intestinal agit sur nos cellules, ont ciblé tout particulièrement un récepteur cellulaire contribuant à l’homéostasie digestive : le récepteur de l'hydrocarbure aryle (AhR). Ce dernier est connu pour être activé par des dérivés du tryptophane issus de la métabolisation par le microbiote.
Si 40 % de la population mondiale expriment des gènes de susceptibilité de la maladie, seul 1 % va développer la pathologie. Des facteurs environnementaux sont suspectés, notamment le microbiote. « Le récepteur AhR permet de diminuer l’inflammation de la muqueuse intestinale lorsqu’il est activé par des molécules produites par le microbiote intestinal appelées ligands AhR », précise au « Quotidien » le Pr Harry Sokol, gastroentérologue à l'hôpital Saint-Antoine (AP-HP) et co-auteur senior de l'étude.
Plusieurs études récentes ont montré que l’activation de l’AhR était insuffisante dans un certain nombre d’affections inflammatoires chroniques digestives, comme la maladie de Crohn ou la rectocolite hémorragique. « Nous nous sommes donc demandé si l’activation de ce récepteur était également réduite chez les intolérants au gluten et si sa stimulation pouvait diminuer l’inflammation digestive », poursuit le spécialiste parisien.
Trois types de traitement possibles
Pour étayer ces hypothèses, les chercheurs ont administré, à des souris génétiquement prédisposées, trois thérapies différentes augmentant l’activité de l’AhR. Premièrement, un régime riche en tryptophane : cet acide aminé essentiel, retrouvé dans des aliments comme les œufs ou le riz complet, est métabolisé en activateurs d'AhR (ou ligands AhR) par certaines bactéries intestinales. Secondairement, des probiotiques contenant des souches de Lactobacillus reuteri, une bactérie naturellement capable de produire des ligands AhR à partir du tryptophane. Enfin, du Ficz, une molécule pharmacologique agoniste de l’AhR. « Dans chaque groupe de souris recevant une de ces trois thérapies, nous avons observé, lors de l’exposition au gluten, une baisse significative de l’inflammation digestive et des autres paramètres habituellement présents dans la maladie cœliaque », indique le Pr Sokol.
Forts de ce constat, les auteurs ont ensuite cherché à déterminer le degré d’activation de l’AhR chez l’être humain. Pour cela, ils ont mesuré la quantité de ligands AhR contenue dans le microbiote fécal de 29 volontaires, sains ou ayant une maladie cœliaque. Après analyse, ils ont mis en évidence une production réduite de ligands AhR dans les selles des patients cœliaques dont la maladie était active, c’est-à-dire non contrôlée par un régime sans gluten strict.
Contrôler l'inflammation persistante
« Ces résultats sont très prometteurs, estime le Pr Sokol. D’une part ils confirment le rôle de l’activité de l’AhR dans les processus inflammatoires de la maladie cœliaque, d’autre part ils suggèrent la possibilité d’élaborer de nouvelles stratégies thérapeutiques pour traiter ce trouble. »
Néanmoins, même si les conclusions sont encourageantes, ce travail s’est principalement intéressé à l’animal, ce qui limite sa portée. « La prochaine étape est donc de réaliser une étude interventionnelle chez l’être humain afin de confirmer ces résultats et ainsi voir quelle nouvelle thérapie est efficace sur la maladie cœliaque, indique le gastroentérologue. Mais attention, il faut bien garder en tête que quelle que soit la thérapie validée à l’issue de ce futur travail de recherche, celle-ci restera un complément au régime sans gluten, et en aucun cas un substitut. »
Le régime sans gluten est actuellement le seul traitement efficace dans cette pathologie et aucune stratégie thérapeutique à l’étude actuellement n'est en mesure de le remplacer. Cependant, ce régime contraignant n’est pas efficace pour tous les malades chez lesquels une inflammation persistante surexpose à un risque de cancer digestif. Dans ces cas-là, une thérapie activant la voie de l’AhR, sous forme de probiotiques par exemple, pourrait améliorer le contrôle de la maladie.
B Lamas et al. Sci Transl Med, octobre 2020. DOI: 10.1126/scitranslmed.aba0624