Utilisé depuis plus de 2 500 ans, l’arsenic était prisé des médecins Grecs ou Romains qui le prescrivaient notamment en topique pour traiter les maladies de la peau. Il était également utilisé comme tonique (arsenic dérive du grec arsen signifiant « mâle ») : ainsi, à la fin du XIXe siècle encore, dans le sud de l’Allemagne et de l’Autriche (Styrie), des « arsénicophages » consommaient des minéraux riches en arsenic (orpiment, réalgar) émietté sur des tartines de saindoux : les hommes pensaient ainsi conserver leur virilité et les femmes préserver la rouge fraîcheur de leurs joues…
De production aisée, le trioxyde d’arsenic connut une brillante carrière en médecine. Au début du XVIIIe siècle, il était préconisé dans le traitement des « fièvres » à la suite des observations d’un médecin allemand, Rosinus Lentilius (1657-1733), publiées en 1684. Il inspira à un médecin anglais, Thomas Fowler (1735-1801), une solution à 1 % d’arsénite de potassium faisant miracle dans le traitement des fièvres récurrentes et de diverses affections dermatologiques. Cette « Liqueur de Fowler » se substitua à l’écorce de quinquina rare et onéreuse. Il fut suivi par un médecin américain, Thomas Hunt (1808-1867) et par d’autres qui proposèrent de curieuses formulations. Ainsi une Américaine, Mary H. Ramsaur, breveta en 1869 sa « Docenella », manière de panacée traitant douleurs comme fièvres, prévenant les éruptions cutanées, purifiant le sang et « rendant les yeux brillants » : elle associait arsenic, girofle et gingembre dans du… whisky. Les aliénistes du XIXe siècle administrèrent des sels d’arsenic comme psychostimulants, à une époque où la médecine générale préconisait les eaux minérales arsenicales chez le patient asthénique (eaux de Roncegno et de Levico en Italie, ou, en France, eau de la source Choussy-Perrière, à La Bourboule).
Liqueur de Fowler
Progressivement, et malgré leur toxicité, ces préparations permirent de faire émerger de réelles applications thérapeutiques. La liqueur de Fowler devint un « standard » dans le traitement des maladies du sang : prescrite pour traiter les anémies, elle passait pour favoriser la production des globules rouges. En 1878, E. G. Cutler et E. H. Bradford, à Boston, puis d’autres hématologues, suggérèrent que le trioxyde d’arsenic pouvait avoir une activité antileucémique, mais son intérêt potentiel fut occulté par les progrès de la radiothérapie puis ceux de la chimiothérapie.
C'est dans les années 1970 que des médecins de l'université d'Harbin (Chine) montrèrent que le trioxyde d'arsenic guérissait de façon spectaculaire la leucémie aiguë promyélocytaire (LAP). Des progrès décisifs furent réalisés dans les années 1990 par l’équipe d’Hugues de Thé (France) et celle de Chen Zhu (Chine) : le mécanisme d’action de l’arsenic fut alors éclairci. Malheureusement, une société américaine déposa un brevet sur le trioxyde d’arsenic (ou plutôt, selon elle, sur son usage clinique), pourtant connu depuis des millénaires, ce qui explique le coût actuel du médicament réalisé à partir d’une substance banale.
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