« C’EST UN POT de la région de Bagdad, du XIIe siècle. » Claude Renner prend l’objet avec précaution. Le motif et la forme sont magnifiques, ils évoquent les origines de la pharmacie, rappellent quelques péripéties de voyages au long cours d’Orient en Occident, dont on a dû lire le récit quelque part, et font surgir, à la lumière du jour, la beauté, aujourd’hui presque oubliée, de ces céramiques anciennes. Claude est cardiologue de profession et a une tendresse particulière pour ces faïences dont il n’hésite pas à nous en montrer tous les détails. Danièle, elle, est collectionneuse dans l’âme et, après s’être intéressée aux soupières de mariage, puis aux moulins à café, a finalement jeté son dévolu sur les étains pharmaceutiques, rejoignant ainsi les goûts de son mari. Il y en a à tous les étages, rangés avec méthodologie, par famille d’objets. Petits pots à onguent et à thériaque, canards, palettes à saignées, urinaux, clystères, irrigateurs Eguisier, biberons, crachoirs, pots à sangsues, mortiers et plats à barbe, aux côtés de faïences dont les couleurs nous indiquent leur vénérable ancienneté. Des albarelli à rendre jalouses, pour certains, les plus belles pièces de musées. Comme cette faïence sicilienne, décorée avec son triskèle, le symbole représentant trois jambes humaines (également présent sur le drapeau sicilien) ou encore ces deux pots lyonnais du XVIIe siècle et cette grande jarre en majolique italienne, d’époque Renaissance, de Montelupo.
Pots numérotés.
La fierté du couple réside en particulier dans la série des pots numérotés de l’ancienne pharmacie Mésaize de Rouen (détruite en 1903, son mobilier fut vendu aux enchères), dont l’autre partie se trouve conservée au musée Flaubert et d’Histoire de la Médecine de cette même ville (avec les grilles en fer forgé de l’ancienne officine). On reconnaît la belle faïence de Rouen, au décor floral jaune, rouge et bleu. « Une série de pots ! Ça ne se voit plus aujourd’hui, confie le couple. Il n’y a plus de grandes ventes thématiques de céramiques pharmaceutiques depuis 10 ans. Aujourd’hui, on ne trouve plus beaucoup de pièces intéressantes mais comme les prix ont baissé, c’est bien d’acheter lorsqu’on a la chance d’en trouver. » Il va donc falloir attendre encore plusieurs années avant que les ventes-après-succession fassent leur retour sur la scène du marché de l’art. Plusieurs collections privées comme celle des Renner existent, gardées bien au chaud pour le moment. Ils ont su trouver des perles rares lors de la grande époque des années 1980 puis, plus récemment, dans les grandes ventes du tournant des années 2000 (la collection Cotinat en 1997, les collections Lafond et Chavaillon en 2002 ou encore la collection Hermani-Léturgie en 2006).
Autre fleuron de leur collection, que l’on découvre harmonieusement disposés sur un meuble de présentation, plusieurs pots aux couleurs chatoyantes et au décor de visages d’hommes et de femmes inscrits dans des médaillons. Il s’agit d’un ensemble exceptionnel de majoliques italiennes du XVIe siècle (vers 1550-1580), d’origine vénitienne, de l’atelier de Maestro Domenico.
Cohérence.
Claude et Danièle ont toujours essayé de privilégier ces ensembles historiques pour la cohérence de leur collection malgré la difficulté à les obtenir par le biais des enchères. Au-delà de la beauté décorative, c’est donc aussi l’intérêt scientifique qui les pousse chaque jour à regarder catalogues de vente et annonces en ligne sur eBay. Lire et comprendre l’histoire de la pharmacie au travers d’objets emblématiques et originaux. Cette volonté se voit notamment dans la collection d’étains dénichés en grande partie par Danièle, objets d’autant plus précieux que beaucoup ont disparu au XVIIIe siècle suite à un décret préconisant de les remplacer par la faïence, pour des raisons de santé publique. Chevrettes, biberons, canards et pots à onguents prennent alors tous leur sens. Objets du quotidien des malades, ils racontent chacun une histoire que l’on peut deviner en regardant les poinçons insculpés par le fabricant et la ville ou l’inscription au nom de l’apothicaire. Les hôtels-Dieu avaient eux aussi leur propre poinçon, non de contrôle (car les établissements religieux étaient exonérés d’impôt) mais de propriété, ce qui permet aujourd’hui de retracer, beaucoup plus facilement que pour les faïences, la provenance de nombreux étains hospitaliers. Claude Renner a d’ailleurs publié à leur sujet un petit ouvrage explicatif intitulé « Histoire Illustrée des Étains Médicaux » (Egv-Editions, 2010).
Aujourd’hui, le couple ne cesse de guetter la bonne affaire. De combien d’objets est constituée leur collection ? Ils ne le savent pas exactement et sourient à cette question. Ils en ont beaucoup, ils vivent avec et en prennent soin, c’est l’essentiel. Un petit trésor qui a le mérite de couvrir une très large période chronologique qui ravirait tous les passionnés d’histoire de la pharmacie. Pour le moment notre duo de collectionneurs tient à rester discret mais toujours avec « la tête chercheuse ».
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