Mobilisés dès le 2 août 1914, comme tous les Français en âge de porter les armes, les pharmaciens déjà installés ont dû, en catastrophe, confier leur officine à des confrères exemptés ou plus âgés, mais aussi parfois la fermer s’ils ne trouvaient pas de remplaçants. Ils étaient alors persuadés, comme tous les Français, que la guerre serait brève, et comptaient être rentrés pour Noël au plus tard. 2 138 pharmaciens furent affectés au Service de santé aux armées, mais certains d’entre eux choisirent d’effectuer plutôt leur devoir au sein d’unités combattantes. De toute manière, l’armée, en 1914, ne comptait que 150 pharmaciens d’active, et n’avait pas besoin d’un nombre très élevé de pharmaciens appelés. La grande majorité d’entre eux fut donc affectée en tant qu’infirmiers ou brancardiers dans des régiments ou des hôpitaux. Ils y subirent une guerre beaucoup plus dure, et beaucoup plus meurtrière, que ceux qui eurent la chance de travailler dans une véritable pharmacie militaire.
Prophylaxie et hygiène.
Pharmacien d’officine à Corbigny, dans la Nièvre, Christophe Lévy a toujours été passionné par la Grande Guerre et a consacré sa thèse, soutenue en 1998, au rôle joué à l’époque par les pharmaciens en matière de prophylaxie et d’hygiène. Il rappelle, dans son travail, que la Pharmacie centrale des armées (PCA), alors installée aux Invalides, à Paris, n’employait en 1914 que 45 personnes, dont seulement 5 pharmaciens. Elle disposait d’un dépôt à Vanves et de deux annexes, à Marseille et Limoges. Ses missions se limitaient, au début de la guerre, à la préparation de médicaments, de pansements et de bandages et à la fabrication de thermomètres. Très rapidement dépassée par les événements, elle dut augmenter ses effectifs et sa production, ainsi que ses moyens de transports et le nombre de ses dépôts. Dès 1915, la PCA crée une dizaine de filiales régionales, et des pharmaciens sont systématiquement affectés dans les hôpitaux. Dans le même temps, souligne M. Lévy, le rôle des pharmaciens dans les unités, d’abord très réduit, s’affirme en matière d’hygiène et de lutte contre les infections. Ils mettent en place des mesures de désinfection et de purification de l’eau, et veillent à l’hygiène alimentaire et à la lutte antibactérienne tout en gérant bien sûr les stocks de médicaments et de pansements.
En 1915, les pharmaciens sont confrontés brutalement à un nouveau défi : les Allemands ont lancé, au printemps, leurs premières attaques au gaz, et il incombe à la PCA d’élaborer et de produire rapidement des masques de protection, d’abord très rudimentaires, puis plus perfectionnés. Parallèlement, ce sont aussi des pharmaciens qui mettent au point certains des gaz de combat utilisés par l’armée française pour répondre aux gaz allemands.
Toutefois, beaucoup de pharmaciens échappent à la mobilisation, soit pour des raisons de santé, soit en raison de leur âge ou de leur famille nombreuse, qui les en dispensaient. Leur situation fut extrêmement variable, dramatique ou plus tranquille. En août 1914, l’armée allemande envahit dix départements du nord et de l’est de la France (voir encadré), qui resteront occupés jusqu’en 1918. L’armée allemande réquisitionne un certain nombre de pharmacies, et se charge elle-même de l’approvisionnement des populations civiles dans les zones occupées. De nombreux pharmaciens perdent dès lors tout moyen de subsistance. Par ailleurs, certains pharmaciens, dans les zones non occupées, n’ont pas toujours fait preuve d’une grande confraternité vis-à-vis de leurs confrères mobilisés, qui ont parfois perdu leur clientèle au profit de leurs voisins.
Début 1918, le pharmacien Paul Garnal (1876-1918), un des pionniers du syndicalisme et de la défense professionnelle des pharmaciens, lancera même une souscription nationale pour venir en aide aux pharmaciens des régions envahies, ruinés par la guerre, et se battra pour les aider à retrouver leurs droits. Enfin, la Victoire de 1918 aura des répercussions inattendues sur l’organisation des pharmacies françaises : les pharmacies d’Alsace et de Moselle, plus grandes que celles des autres régions en raison du quorum allemand qui limite leur nombre à une pour 5 000 habitants, redeviennent françaises. Les syndicats français souhaitent s’inspirer de ce modèle pour demander eux aussi un numerus clausus, qui sera finalement à l’origine des quorums français actuels. Ironie de l’histoire, le quorum allemand sera, lui, supprimé dans les années 1930, mais restera en vigueur en Alsace-Moselle, alors française… si bien que l’Alsace-Moselle conservera l’ancien quorum allemand jusqu’en 1999.
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