FOURMILLEMENT des pieds et des mains, diarrhées, sueurs puis contractures atrocement douloureuses, et délire : Guérin hurlait. Gaston de Valloire allongea son fils et tomba lui-même à deux genoux au pied du reliquaire abritant les restes de Saint Antoine l’Égyptien. Né à Côme vers 250, Antoine vécut en ermite près de la Mer Rouge. En proie à des visions tentatrices, sa foi lui permit de combattre victorieusement Satan. Ses reliques, ramenées d’Égypte, furent installées, vers 1070, dans un bourg du Dauphiné : la Motte aux Bois.
Le fléau qui frappa cette région alpine débuta une vingtaine d’années plus tard. Si les premières allusions à ce « Mal des Ardents » sont antérieures à cette époque, c’est au Moyen-Âge que les chroniqueurs le décrivirent avec la plus extrême minutie. Tenues pour possédées par le Malin, les victimes bavaient, se tordaient sous les convulsions, se vidaient en diarrhées profuses, voyaient des créatures terrifiantes. Une intense brûlure préfigurait le supplice éternel que leur promettait l’enfer. Noircie, leur chair se détachait par lambeaux ; doigts, orteils, membres parfois, tombaient sans douleur ni hémorragie. La mort libérait d’une agonie sans nom. Les nourrissons mêmes n’échappaient pas au martyre. Comment ne pas alors implorer le saint qui avait su échapper au feu infernal ?
Peste de feu
De fait, Guérin comme quelques victimes du fléau, survécu miraculeusement. Empli de gratitude, de Valloire fonda sur place la communauté des frères de l’Aumône, pour accueillir les pèlerins venant implorer les reliques - ses compagnons arboraient sur leur cape un « T » symbolisant une béquille -. La « peste de feu » frappant de nombreuses régions, la communauté, dite des « Antonins », créa des hospices dans diverses villes puis essaima en Europe… Innocent IV en fit (1247) un ordre religieux hospitalier placé sous la règle des Augustins. A son apogée, au XVe siècle, il géra plus de 300 abbayes et regroupa environ 10 000 moines.
Le rationalisme leva le mystère : Denis Dodart (1634-1707), médecin et botaniste signala le rôle du seigle parasité en 1676 ; au même moment, un autre médecin, François Quesnay (1694-1774), incrimina la consommation de farine de seigle aux grains « comme des ergots de chapon ». Dès la fin du XVIIe siècle, le seigle fut passé au crible avant mouture et le « feu sacré » se raréfia. Les Antonins, ayant perdu leur raison d’être, furent réunis en 1777 à l’ordre de Saint Jean de Jérusalem. L’« ergotisme », en fait lié à la vasoconstriction et à la neurotoxicité liées aux alcaloïdes de l’ergot, a toutefois sévi depuis dans divers pays - notamment en Europe de l’est, en Russie, en Éthiopie. Au-delà de cette histoire, l’ergot ouvrit un chapitre passionnant de la pharmacologie. Cela aura donc une suite !
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