Plus de 350 000 ouvrages sont conservés dans les travées étroites de la réserve de la bibliothèque de l’université de pharmacie de Paris. Une manière de replonger quelques siècles en arrière pour s’émerveiller devant la richesse de l’histoire de la pharmacie et devant la fragilité de quelques manuscrits, véritables petits ouvrages d’art qui nous sont parvenus intacts comme par miracle. Sur certains, de magnifiques gravures, parfois colorisées, sur d’autres, des annotations ou des dédicaces. Ici, la main de Parmentier est passée, là, le dessin précis et sérieux de la mandragore. Le plus émouvant étant sans doute, au travers de tous ces vieux livres, de ressentir le mélange qui s’effectuait dans les esprits entre la science empirique de la fabrication des médicaments et les recherches insatiables sur l’art de distiller dans une visée alchimique. Dans le fonds ancien, réside bien toute la poésie et toute la magie, bien qu’un peu poussiéreuse, de la pharmacie.
C’est en 1570 qu’est réalisée la première donation à la bibliothèque des maîtres apothicaires par quatre gardes apothicaires, Nicolas de Bourges, Gilles Chubere, Vaast Bourdin et Guillaume de Voulgues. Neuf ouvrages reliés en sept volumes. Suivront, pour chaque génération d’apothicaires, les livres de comptes reliés qui viendront petit à petit compléter le fonds. Ainsi, les livres de la Communauté des apothicaires et des épiciers parisiens sont toujours conservés dans la salle de réunion. C’est la mémoire des privilèges en quelque sorte. On y trouve la première représentation de l’emblème des apothicaires parisiens constitué de deux nefs, d’une balance et d’un poids. Dans le même esprit, sont également conservés les thèses et les cours des enseignants, de l’Ancien régime jusqu’à nos jours. À leurs côtés, des éditions de référence, comme Galien, Avicenne ou « L’Antidotaire » de Nicolas de Salernes, pour ce dernier une édition du XVe siècle avec enluminures. À partir de 1777, à la création du Collège de pharmacie, la bibliothèque est installée rue de l’Arbalète. En 1882, elle se déplacera rue de l’Observatoire, son emplacement actuel, et c’est Paul Dorveaux qui œuvrera pour l’enrichir.
La réserve, c’est la « Mecque » de la bibliothèque où sont conservés 1 900 volumes, dont une quarantaine d’incunables. On y trouve aussi bien un exemplaire de la « Description de l’Égypte » que plusieurs ouvrages des XIVe, XVe et XVIe siècles. Un des plus anciens serait un livre de recettes de matière médicale du XVe siècle, écrit en latin et en anglais, attribué à « l’empirique Richard III ». Aussi précieux, un incunable allemand sur l’art de distiller, par Hieronymus Brunschwig, daté de 1500, qui contient un magnifique frontispice peint et également une curieuse gravure intérieure représentant des apothicaires, auxquels, vraisemblablement, ont été rajoutées des moustaches, amusante caricature !
Nous nous trouvons avec chaque ouvrage face aux problématiques de l’histoire de la pharmacie, celle de recenser des recettes, celle de la récupération des symboles alchimiques par la science, et aussi celle de la représentation des plantes. Cette dernière peut être soulevée au travers de magnifiques gravures qui ne montrent pas les plantes de la même manière, en perspective ou à plat, avec ou sans les racines. Ce fait semble anodin, mais la manière de représenter les plantes fut un réel débat sous l’Ancien régime.
Les ouvrages plus célèbres comme celui de Jean de Renou, médecin d’Henri III, ou la « Thériaque d’Andromaque » (éd.1668), de Moyse Charas, trouvent aussi leur place dans la réserve. Dans ce dernier, « il est à noter une particularité qui se trouve en tête d’ouvrage, où l’on peut admirer l’envoi manuscrit et la signature de Moyse Charas. Le papier, très abîmé avec le temps, a fait l’objet d’une très belle restauration en 2010. Il fut alors décidé de contrecoller cet envoi sur la garde volante supérieure, ce qui permet aujourd’hui la mise en regard de l’autographe et du frontispice », explique Philippe Galanopoulos. Le livre aurait probablement été offert par Moyse Charas à un ami protestant dont le nom figure sur la quatrième de couverture. Plus près de nous, un herbier du début du XXe siècle conserve toujours différents échantillons de mousses végétales cachés à l’intérieur de petites enveloppes papiers collées et repliées soigneusement sur les pages.
Depuis la fusion des bibliothèques interuniversitaires de médecine et de pharmacie, en 2011, Philippe Galanopoulos souligne que la question de la conservation s’est complexifiée. Ce qui la rend plus intéressante encore. Qui doit conserver quoi ? Surtout quand on touche des domaines en train de se faire et qui se recoupent. « Les dernières acquisitions patrimoniales concernent des "cartes postales", précise-t-il, représentant Augustin-Antoine Parmentier, en vue de la commémoration du bicentenaire de sa mort, plus une petite brochure sur "Le vin de Bellini composé de vin de Palerme, de Quinquina et de Colombo" (vers 1850). Ce sont surtout les dons qui, ces derniers temps, nous ont permis d’enrichir nos collections : notamment le don de l’Ordonnancier de la pharmacie Lhopitallier et d’autres ordonnanciers datant de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, et les dons de documents rares et précieux par l’intermédiaire du Laboratoire de physique-chimie, du Laboratoire de pharmacognosie et du Laboratoire de toxicologie. »
La mémoire des pharmaciens est donc bien gardée. Mais elle est aussi sur le marché de l’art et, surtout, dans les officines et dans les familles.
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