La doctorante en histoire de l’art Amandine Clodi, qui s’attelle à retracer l’histoire de la pharmacie, le sait bien : le fameux Homme de Fer strasbourgeois, muni de sa hallebarde et de son casque pointu, était là bien avant la création de l’officine, jadis enseigne d’une armurerie au XVIIIe siècle. Aujourd’hui il est devenu malgré lui l’emblème de la pharmacie, s’accordant fièrement à l’embourgeoisé grès rose local qui recouvre les quatre étages de la bâtisse. Dans ces murs, une officine est née puis s’est agrandie jusqu’à occuper l’ensemble du bâtiment. Dans les étages, un laboratoire, (aujourd’hui installé en périphérie de Strasbourg), s’est mis à développer des spécialités pharmaceutiques qui font toujours la renommée de la pharmacie.
Une histoire de famille
Cette aventure n’aurait pu se prolonger longtemps sans l’esprit d’entreprise des hommes de la famille Beretz qui se sont succédé à la tête de l’officine durant trois générations. Il y eut d’abord Edmond, le pionnier, puis Marc et François, ses fils, successeurs inventifs, et enfin Michel, le petit-fils, titulaire actuel depuis 1998 et tout autant passionné que ses aînés. L’histoire est belle, générationnelle, familiale, enracinée dans la mémoire locale. De celles qui construisent l’identité d’un lieu, voire d’une région, et qui rappellent qu’aux sources de la pharmacie strasbourgeoise, ce sont des générations d’apothicaires, puis de pharmaciens, qui n’ont cessé de se former dans les nombreuses officines de la ville, d’abord par le biais du compagnonnage à partir de l’époque médiévale, puis sur les bancs de la troisième grande École de pharmacie française (après Paris et Montpellier) fondée par Napoléon Bonaparte par une loi du 21 germinal an XI (11 avril 1803).
N’est-ce pas justement à Strasbourg que se trouve la plus ancienne pharmacie d’Europe ? À l’angle de la rue Mercière et de la place de la cathédrale, tout le monde connaît la pharmacie du Cerf et son bel encorbellement, qui a cessé son activité en 2000 après 700 ans de bons et loyaux services (le bâtiment abrite aujourd’hui la Boutique Culture et est classé Monument historique). Faisons encore un peu d’histoire en rappelant que c’est le Strasbourgeois Charles Gerhardt, né il y a tout juste 200 ans, en 1816, qui obtint le premier la synthèse chimique de l’acide acétylsalicylique, plus connu sous la dénomination d’Aspirine.
La pharmacie de l’Homme de Fer fait, elle aussi, figure de patrimoine local, mais bien vivant cette fois, respectueux du passé et résolument tourné vers l’avenir. À son actif, plus de cent ans de distribution et de formulation pharmaceutique. Sa création remonterait à 1868 par un certain Philippe Andler. Puis, un dénommé Karl Cornelius vers 1900 aurait créé une vitrine dédiée à la pharmacie où l’on pouvait y voir deux de ses spécialités - la Crème Any, dépigmentante contre les taches de rousseur et le Rhetol contre la chute des cheveux - avant de céder l’activité à Edmond Beretz et son associé Fritz Hauth en 1914.
Success story
« Nous sommes une des dernières pharmacies à continuer d’exploiter nos spécialités conçues dans notre laboratoire depuis qu’il existe. Évidemment les formules ont évolué mais les noms des produits sont les mêmes », explique Michel Beretz. Très tôt attaché à la pharmacie, le laboratoire de l’officine met au point des remèdes que connaissent bien les Alsaciens dont le plus emblématique est la Cefaline Hauth, préconisée contre les douleurs et la fièvre, toujours commercialisée aujourd’hui. Créé en 1922 par Edmond Beretz et Fritz Hauth sous forme de petits sachets de poudre antalgique, ce médicament devient le concurrent direct d’antidouleurs plus connus, l’Aspirine bien sûr, puis, dans les années 1960, les Efferalgan, Ibuprofène et autre Doliprane qui arrivent en masse sur le marché.
La Cefaline Hauth a cependant su trouver son public dans une région qui plébiscitait déjà, en des temps plus anciens, les kopfwehpulver, ces petites poudres de fabrication artisanale contre le mal de tête. Son succès peut se mesurer, paradoxalement, à toutes les contrefaçons qui apparurent pendant la Seconde Guerre mondiale, profitant du fait que la production de la pharmacie avait dû être délocalisée à Dinard, avant d’être interrompue pendant l’annexion allemande.
Le laboratoire de l’Homme de Fer
Après la guerre, la production put reprendre de plus belle. La Cefaline en tête, désormais produit phare de l’officine (qui existe en comprimés depuis 2015), aux côtés de la Crème Any et du Camphrice du Canada, les deux autres spécialités anciennes encore exploitées dans le laboratoire de l’Homme de Fer, qui a été extériorisé à l’officine en 2006 pour être relogé dans les anciens locaux de Boiron à Ostwald. Un espace plus grand pour une production modernisée.
Car la pharmacie fait aussi de la parapharmacie et a même une branche parfumerie. Le laboratoire développe donc plusieurs produits cosmétiques d’hygiène et de protection cutanée (Manuphyl, Sudine, Poudre du marcheur…) sous les gammes Sorifa et Laphi, tournées vers la protection des collaborateurs dans le monde du travail. Protéger, nettoyer, réparer et prendre soin des mains et des pieds sont les maîtres mots du laboratoire actuel, comme l’explique Laurence Bronner qui en est le pharmacien responsable : « Au début, c’étaient des produits maison, développés notamment grâce à Marc Beretz, passionné par tout ce qui touchait à la formulation. Aujourd’hui, nos produits de protection et d’hygiène cutanée ont vocation à être utilisés par les particuliers comme par le monde du travail. Nous sommes donc très sensibles à leur qualité et à leur caractère hypoallergénique. Nous entretenons des contacts réguliers avec des industries de tout secteur et des médecins du travail à qui nous nous devons de fournir des fiches de données de sécurité. Le contrôle des produits est plus important en amont que pour d’autres circuits de cosmétiques plus traditionnels. »
Le laboratoire de l’Homme de Fer a su s’adapter et se renouveler et Laurence Bronner cherche toujours de nouvelles formules. Par exemple, un nettoyant composé de micrograins est en cours de fabrication et une crème assurant une double protection mécanique et solaire vient d’être mise sur le marché. Il est juste de dire que les anciennes recettes restent l’inspiration de l’officine et font toujours le bonheur, et c’est tant mieux, des migraineux alsaciens. Rien ne s’est perdu, tout s’est transformé, du packaging totalement repensé à l’impressionnant automate d’officine qui délivre chaque jour les médicaments au comptoir. On imagine aisément que l’aventure centenaire de la pharmacie de l’Homme de Fer, et de sa précieuse Céfaline, est loin d’être finie.
Pharmacie de l’Homme de Fer, 2 place de l’Homme de Fer, 67000 Strasbourg
Laboratoire de l’Homme de Fer, 6 rue Michaël Faraday, Parc de la Vigie, 67540 Ostwald www.sorifa.com / www.laphi.fr
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