Au 514 de la rue de Chartres, dans le Quartier français de la Nouvelle-Orléans, se dressent les vitrines un peu poussiéreuses de « La Pharmacie Française ». Une officine fondée en 1823 par un Gersois, et devenue musée en 1950.
Son histoire débute avec le XIXe siècle. Vendue par Napoléon aux jeunes États-Unis en 1803, la Louisiane demeure farouchement francophone et francophile. Mais elle se débat avec de graves difficultés sanitaires : fièvre jaune, dysenterie, malaria. Pour endiguer ces épidémies, quelques apothicaires se démènent avec peu de moyens et encore moins de formation.
Le gouverneur de Louisiane, lassé par les compétences très hétérogènes de ses apothicaires et leurs erreurs parfois délétères, décide qu’un diplôme sera désormais exigé pour exercer cette profession. Le premier à satisfaire à ces nouvelles règles est Louis Joseph Dufilho Jr (ancêtre du comédien Jacques Dufilho). Né à Mirande, dans le Gers, en 1788, il quitte la France avec sa famille pour s’installer à la Nouvelle-Orléans entre 1800 et 1803. Là, son père et son frère aîné ouvrent un commerce d’apothicaire au 12 rue de Toulouse, dans le « Quartier Français ».
En 1814, Louis J. Dufilho Jr participe, sous la bannière étoilée, à la bataille de la Nouvelle-Orléans contre les Britanniques. Et pour répondre à l’exigence de formation exigée par l’État de Louisiane, il rentre en France se former à la faculté de pharmacie de Paris. De retour à la Nouvelle-Orléans en 1816, il devient le premier pharmacien officiellement diplômé des États-Unis ; la Louisiane est alors le premier État à imposer un tel système de certification de la compétence professionnelle des pharmaciens.
Un notable dévoué
En 1819, Louis J. Dufilho Jr se marie. Il aura 7 enfants, dont 3 meurent en bas âge. En 1823 il ouvre sa propre officine, au 514 rue de Chartres, baptisée « La Pharmacie française ». Il y exerce plus de 30 ans, participant à la vie de la cité et de sa bonne société ; il s’investit dans une association de professionnels de santé francophones, une loge maçonnique, une société de bienfaisance qui offre assistance médicale aux pauvres et œuvre à la prévention des épidémies.
Il prospère jusqu’en 1855, date à laquelle il vend sa pharmacie (pour 18 000 dollars) à un médecin, le Dr Joseph Dupas. Puis, il rentre en France avec toute sa famille, vraisemblablement pour y finir sa vie, car il meurt en avril 1856.
Le Dr Dupas conserve la pharmacie en rez-de-chaussée et ouvre un cabinet médical à l’étage. L’officine sera exploitée jusqu’à sa mort en 1871. Au tournant du siècle, un ouragan endommage la maison, qui est abandonnée jusqu’en 1950 où, à l’initiative de Louisianais et aux dons de nombreux pharmaciens, elle devient le New Orleans Pharmacy Museum.
Ce musée présente une officine et un cabinet médical du XIXe siècle, ainsi qu’une riche collection d’instruments médicaux, chirurgicaux, bouteilles, fioles, vases, prescriptions, journaux, affiches… et remèdes.
Vaudou, opium et alcool
Elle constitue aussi un témoignage unique sur la société créole* de l’époque, ses mœurs, ses connaissances médicales et ses pratiques parfois étranges. Car les officines d’alors délivrent bien davantage que des médicaments, préparations, sangsues ou (premiers) remèdes homéopathiques… On y trouve des cosmétiques, du maquillage, des parfums. Mais aussi des potions et gris-gris vaudous, philtres d’amour ou de chance que la bonne société vient acheter ici pour ne pas être vu dans les boutiques vaudou, et qui se délivrent « sous le comptoir » avec des noms codés. De même, les vases colorés exposés en vitrine auraient servi de messages codés à l’adresse des clients ; un vase rouge signifiant : « épidémie, fuyez ! ».
L’officine propose aussi de nombreuses plantes issues de la pharmacopée africaine ou indienne, transmises par les savoirs ancestraux des esclaves ou des tribus de la région.
On y achète des potions hallucinogènes, des sirops d'opium. Les opiacés sont alors très utilisés, comme antidouleur, anesthésiant… Malgré les addictions provoquées, ils sont souvent vendus « sous le comptoir » jusqu’à ce que la loi (1914) ne rende obligatoire leur délivrance sur prescription.
Science, romantisme et décadence
La pharmacie est aussi le haut lieu de la vente de boissons toniques aux plantes, des « bitters » très prisés et souvent généreusement alcoolisés. Parmi eux, le Vin Mariani, inventé par un Français, à partir de vin de Bordeaux et de feuilles de coca. Il est l’ancêtre du Coca-Cola (né dans une officine d’Atlanta en 1885) dont le premier nom était le « french wine coca ».
Bref, l’officine louisianaise du XIXe nous offre un délicieux cocktail de science, de romantisme et de décadence. À l’image de la Nouvelle Orléans !
* Dans la Louisiane du XIXe siècle, le mot créole désigne les personnes nées en Louisiane, de religion catholique et francophones. Ce terme n’a aucune dimension ethnique, les créoles étant indifféremment blancs (français, espagnols), noirs, métis ou indiens. Le terme vise à se démarquer des nouveaux arrivants anglo-saxons.
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