LA CHARITÉ ! Voilà bien une des valeurs préférées des XVIIe et XVIIIe siècles. Il s’agissait de se faire bien voir, d’accéder à l’expiation de ses péchés et au Paradis. À chaque cardinal son hôtel-Dieu ou sa maison d’accueil aux plus démunis ! Ainsi, à Tournus, qui vit deux très riches cardinaux proches du roi se succéder, le cardinal de Bouillon et le cardinal de Fleury, l’hôtel-Dieu, créé en 1661, se vit attribuer de nombreux biens et bénéficia d’aménagements pensés par l’architecte Bernard Sartoise.
Certes, l’apothicairerie de l’hôtel-Dieu, achevée en 1685, n’est pas celle de Greuze, cependant, on se plaît à imaginer qu’elle aurait pu inspirer l’artiste pour le décor d’un de ses tableaux : les sœurs de Sainte-Marthe dans leur habit blanc à la haute coiffe, prodiguant des soins aux malades et apportant des fioles exhalant des senteurs de mélisse, de fenouil ou de sauge fraîche, autant de plantes provenant du petit jardin des simples situé derrière l’hôpital. Des remèdes semblables à des offrandes pour l’œil bienveillant du puissant cardinal de Fleury… Et, en arrière-plan, l’artiste aurait peut-être esquissé les délicates étagères ouvragées en noyer, scintillantes de reflets fauves et richement ornées de colonnettes torsadées et dorées, garnies de belles faïences de Nevers et de Dijon. Une atmosphère d’intérieur confiné comme aimait en peindre l’artiste, un peu obscure, où chaque personnage fait un geste précis.
Au-dessus de cette scène, Greuze aurait-il oublié de représenter l’exceptionnel plafond peint sur lequel flottent, au milieu de nuages, deux angelots dans le plus pur style XVIIe siècle, entourés d’un décor de fleurs et de fruits ? Peut-être, car l’artiste s’intéressait moins aux frivolités qu’à la signification morale de son tableau. Cependant, ce plafond mérite qu’on s’y attarde. Certains ont pu dire qu’il rappelait les décors du château de Cormartin, proche de Tournus. En tout cas, il a fait l’objet d’une belle découverte lors de la restauration de l’apothicairerie, entreprise en 1992. Il se cachait en effet sous une toile marouflée qui avait été tendue au XVIIIe siècle ; cette dernière, qui montre une figure féminine de La Charité, a été déplacée au plafond d’une autre salle de l’hôtel-Dieu, toujours visible.
Élégance et raffinements.
Nulle autre apothicairerie n’égale cette forme d’élégance. Tous les ingrédients de raffinements y sont réunis. Aujourd’hui, on peut encore les admirer. Plus de trois cents chevrettes, pots-canons, piluliers et flacons de verre sont toujours à leur place d’origine. Dans leurs petites alcôves obscures, bien que muséifiés, ces pots semblent prêts à l’emploi. Ils donnent l’image d’une pharmacie qui soignait plus les maux de l’âme, une sorte de bon dosage entre une forme de spiritualité et la tambouille hasardeuse de l’apothicaire. La grande fenêtre laisse entrer le soleil qui décline et vient se poser sur le mortier de bronze au milieu de la pièce, où l’on peut lire l’inscription « hôpital de Tournus, 1764 ».
Mais le plus extraordinaire est le parcours dans lequel s’inscrit cette apothicairerie, le même depuis l’origine de l’hôtel-Dieu, à côté de l’herboristerie qui, elle-même, se trouve accolée à la salle des femmes. Un ensemble grandiose, auquel furent ajoutées la salle des hommes, puis la salle des soldats, à la fin du XVIIIe siècle. En tout, cinquante-trois lits tournés vers la chapelle centrale du Saint Sacrement où était donnée la messe. Derrière les lits, on peut encore voir les étroits couloirs qui servaient aux sœurs pour mieux circuler en toute. Une autre petite pièce conserve toujours un immense vaisselier, étonnant par sa taille, sur lequel de nombreux étains prennent place.
Un patrimoine exceptionnel.
L’ensemble du mobilier de l’hôtel-Dieu et l’enfilade des pièces recréent l’atmosphère d’autrefois. Spacieuses, baignées d’une lumière froide qui entre par de grandes baies vitrées, les salles des malades, toutes bordées de lits en bois, semblent être un décor de théâtre hors du temps. Ce patrimoine exceptionnel est devenu le musée Greuze, qui a été ouvert au public en 1999 (en effet, en 1978, la dernière religieuse a quitté ses fonctions à l’hôtel-Dieu).
Après une grande campagne de restauration, le musée offre désormais un parcours riche sur l’histoire de la médecine et de la pharmacie, autant que sur la peinture de Greuze. Encore récemment, une restauration, terminée en 2012, a permis d’installer dans une pièce l’ensemble complet du mobilier d’une autre apothicairerie, celle provenant de l’hospice de La Charité qui avait été fondé, lui aussi, par le cardinal de Fleury, en 1720. Cette apothicairerie conserve, comme celle de l’hôtel-Dieu, un magnifique dallage constitué de pierres de la région, blanches de Tournus, roses de Préty et noires de Jura, qui forment au centre une belle étoile à cinq branches.
L’apothicairerie de Tournus est un lieu d’autant plus incontournable qu’il a fait l’objet de restauration et de mise en valeur récentes qui permettent d’admirer, une fois n’est pas coutume, un ensemble complet d’origine. Tableau imaginaire de Greuze, ou peut-être même décor de films, à vous de choisir…
Dans votre bibliothèque
« Deux par deux »
« Notre Santé est en jeu »
Quelles solutions face au déclin du système de santé ?
Dans votre bibliothèque
« Le Bureau des affaires occultes », ou les débuts de la police scientifique
USA : frites, bière, donuts gratuits… contre vaccin