Sur la côte d’Azur, l’hiver est doux. C’est le constat que fait le médecin anglais Henry Bennett lorsqu’il s’installe à Menton en 1859 alors qu’il souffre de la tuberculose. À sa grande surprise, son état s’améliore très rapidement, ce qui le décide à ouvrir un cabinet médical dans son lieu de villégiature. À cette époque, la Côte d’Azur accueille de nombreux compatriotes, venus chercher la douceur de vivre en hiver, et par la même occasion, soigner leurs maux. Le tout jeune Stevenson, malade lui aussi des poumons, et la reine Victoria comptent parmi les hôtes les plus illustres de la côte méditerranéenne. Mais, aux côtés des peintres et des écrivains, arrivent également la communauté des médecins, pharmaciens et botanistes, dont l’histoire générale parle moins.
Menton devient si célèbre pour la qualité de son climat, gage de guérison, que le nombre des hôtels passe de 3 à 30 entre 1861 et 1875. Henry Bennett, comme de nombreux riches britanniques, finit par habiter une villa entourée d’un jardin botanique sur les hauteurs de la ville. Dans ce havre paradisiaque, il fait salon et reçoit notamment l’écrivain passionné par les plantes Alphonse Karr, installé à Saint-Raphaël, ainsi que son voisin de quelques kilomètres, le pharmacien anglais Daniel Hanbury. Les conversations autour des plantes devaient aller bon train car Daniel Hanbury est alors un pharmacien et botaniste reconnu, complètement dévoué à son travail, sans femme ni enfant. Un bourreau de travail qui ne cesse de rassembler des végétaux. Seul l’amour des plantes semble habiter sa vie, au point même d’adopter une alimentation végétarienne.
Un des plus extraordinaires jardins botaniques
Pharmacien d’officine sur Bloombury Square à Londres et auteur de nombreux articles parus dans des magazines scientifiques, il est reconnu comme le plus grand expert en pharmacognosie en Angleterre au XIXe siècle et devient membre du Phytological Club en 1852, et de la Pharmaceutical Society en 1857, puis, consécration, de la Royal Society en 1867. Son acte de bravoure reste un ouvrage de référence, sa « Pharmacographia », sur l’histoire des drogues d’origine végétale, coécrit avec le professeur suisse Friedrich A. Flückiger, l’équivalent de « L’Histoire naturelle des Drogues » de Gaston Guibourt en France. Sa connaissance aiguë d’espèces rares et exotiques fut favorisée par les nombreuses correspondances qu’il entretenait avec des scientifiques du monde entier et par les observations qu’il rapporta de ses voyages, notamment au Moyen-Orient en compagnie du célèbre botaniste Joseph Hooker, connu pour avoir été le premier à soutenir les thèses de Darwin et pour être devenu un des directeurs emblématiques des Kew Gardens à partir de 1865.
Le jeune frère de Daniel aime comme lui les voyages et les plantes, une prédilection qui ne doit rien au hasard puisque leur père était également pharmacien. Mais Thomas revêt, lui, le costume de l’homme d’affaires. Dès 1849, il prend la route de la Chine pour faire fortune dans le thé, les épices et la soie. Il crée sa société, Hanbury & Co, et devient un des marchands occidentaux les plus en vue à Shanghai, se mettant même à apprendre le mandarin pour s’immerger complètement dans la culture locale. Très actif, il crée des jardins, des structures hospitalières et devient le directeur de la première ligne de chemin de fer chinoise. Lors d’un retour en Europe, il rejoint Daniel dans le sud de la France où ce dernier herborise. Tous les deux découvrent, au détour d’une promenade en mer, la silhouette du palais abandonné d’Orengo, dressé sur un promontoire entre Menton et Vintimille. Le lieu-dit s’appelle La Mortola, et c’est le coup de foudre. Les frères avaient toujours rêvé d’un lieu pareil. Ils l’achètent pour lui redonner toute sa splendeur et surtout y aménager un des plus extraordinaires jardins botaniques. Tandis que Thomas doit retourner quelque temps en Chine, Daniel s’adonne enfin entièrement à sa passion en sélectionnant des plantes sur un terrain de 18 hectares, notamment des pins d’Alep, des bambous et des caroubiers et près de vingt variétés de citrons.
Une incroyable collection
Sa connaissance des plantes ne le préserve cependant pas d’une fièvre typhoïde qui l’emporte en 1875. Thomas et son fils Cecil continuent son œuvre en développant l’aménagement du jardin et, en 1889, paraît la première édition de l’« Hortus Mortolensis » qui recense 3 600 espèces. Bientôt, le jardin Hanbury devient célèbre pour la qualité des plantes qui y sont conservées et étudiées, au point d’être mentionné dans les premiers guides touristiques du coin. L’esprit philanthrope de Thomas le conduit, comme il l’avait déjà fait en Chine, à s’engager dans la vie locale. Il crée donc des écoles et acquiert une seconde villa où il crée le Hanbury Botanical Institut doté d’un laboratoire, d’un conservatoire des plantes et d’un musée. Dans le même temps, il glane des spécimens de plantes aux Kew Gardens, où Joseph Hooker n’a pas oublié son talentueux compagnon de voyage.
Aujourd’hui, c’est en déambulant au milieu des agaves, des cactus, des aloès, des goyaviers, des pivoines, des roses et des pamplemoussiers Shaddock qui s’épanouissent sur fond de mer bleu azur que l’on repense à Daniel Hanbury qui sut constituer une incroyable collection de plantes venues des quatre coins du monde. Le cadre est magique. Plus de 7 000 espèces ornent les allées qui plongent en étage vers la Méditerranée. Très endommagé pendant la Seconde Guerre Mondiale, le jardin fut donné par la famille à l’État italien en 1960 et confié en gestion à l’université de Gênes en 1987. Des plantes qui enchantent le regard du visiteur mais qui avaient, surtout, dans l’esprit de Daniel Hanbury, chacune, une fonction thérapeutique. Le jardin Hanbury est une étape essentielle dans le parcours des nombreux jardins botaniques qui parfument la côte, pour la plupart créés au XIXe siècle dans une visée scientifique et pharmaceutique.
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