À l’Origine de cette décision, les restrictions budgétaires, de plus en plus lourdes, qui obligent l’AP-HP à se défaire régulièrement de biens prestigieux dont elle est le propriétaire. Les exemples sont de plus en plus nombreux, même si les milliards d’euros de dettes sous lesquelles croule l’institution sont loin d’être comblés. Récemment, le magazine « Challenges » a mis en lumière ces biens de nature très diversifiée, non affectés aux soins, légués à l’Assistance Publique par de riches donateurs. Des champs, un théâtre, un château dans le Pas-de-Calais, ou encore une somptueuse villa à Marseille… Ainsi, la maison d’Émile Zola, à Médan, dans les Yvelines, que la femme de l’écrivain, Alexandrine, avait léguée à l’AP-HP en 1905, devrait être vendue courant 2012. La maison était devenue une pouponnière pour enfants malades, puis une école d’infirmières, avant d’être la « Maison Zola-Musée Dreyfus » que l’on connaît aujourd’hui. Les legs initiaux perdent alors de leur sens, et l’AP-HP vend parfois un peu de son âme. Dans le cas de l’hôtel de Miramion, ce sentiment est encore plus fort. En effet, au-delà de la perte d’un bijou de famille, il s’agit de la perte d’un témoin privilégié et emblématique de notre histoire hospitalière.
Une histoire exemplaire.
Souvenons-nous, puisqu’il en est encore temps. L’hôtel de Miramion, dont la façade est attribuée à l’architecte royal François Mansart, est un magnifique hôtel particulier, construit en 1630 par Christophe Martin, conseiller d’État et contrôleur général des écuries du roi, sur une parcelle cédée par le couvent des Bernardins. Il devint ensuite la propriété de Madame de Miramion (1629-1696), jeune veuve très pieuse, qui en fit un lieu de charité voué aux soins des malades et des plus pauvres et à l’éducation des petites filles. Ainsi naquit la communauté séculière et laïque des Miramiones, qui prit exemple sur les sœurs de la Charité de Saint-Vincent de Paul. L’action de Madame de Miramion fut si grande qu’elle devint bientôt une proche du pouvoir royal. La marquise de Sévigné, sa contemporaine admirative, la surnomma même la « mère de l’Église ».
Un véritable hospice, doté d’une apothicairerie (les femmes de la communauté faisaient elles-mêmes les remèdes et les onguents), était donc installé dans l’hôtel particulier. Après la Révolution, ce dernier devint bien national. À partir de 1812, et jusqu’en 1974, eu égard à son ancienne activité, il devint la pharmacie centrale des hôpitaux de Paris. Les décideurs de l’époque avaient su maintenir une cohérence à l’affectation du lieu. Alors affluèrent dans les murs les pots de pharmacie des apothicaireries hospitalières qui commençaient à disparaître. Tant et si bien que fut improvisée, dès la fin du XIXe siècle, une petite salle d’exposition, anticipant ainsi le futur musée de l’AP-HP.
La cour de l’hôtel servait de quai de chargement des marchandises. Achat, fabrication, essais, contrôle, conditionnement, distribution, mais aussi suivi et inspection des pharmacies hospitalières, la pharmacie centrale des hôpitaux assumait une activité de dimension quasi industrielle en fournissant près de 130 établissements médicaux de la région parisienne. Aujourd’hui, on ne peut entrer dans la cour de l’hôtel de Miramion et visiter le musée de l’AP-HP sans repenser à cette histoire fabuleuse qui vit les grands moments de l’évolution de la pharmacie hospitalière, de la simple volonté d’une femme au XVIIe siècle à la création de la pharmacie moderne au XXe siècle.
Du temps où la sauvegarde du patrimoine était une prise de conscience, le musée de l’AP-HP put être créé. Non sans grandes difficultés car la notion de patrimoine hospitalier eut du mal à être acceptée. La commission du Vieux Paris a finalement insisté pour que l’hôtel de Miramion soit inscrit au titre de l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, ce qui débloqua la situation. La victoire fut acquise en 1934 et l’institution hospitalière bénéficia enfin d’un écrin précieux pour conserver sa mémoire, plus de 10 000 pièces racontant l’histoire de l’hôpital.
Aucune garantie.
Et aujourd’hui ? « Il est sûr qu’on se prive de la mémoire d’une grande institution et d’un instrument de formation des citoyens », estime Jacques Deschamps, membre des Amis du musée de l’Assistance publique (ADAMAP). Ce dernier s’inquiète depuis plusieurs mois de l’avenir des collections du musée, la question étant de savoir où elles pourront être entreposées, dans un premier temps de manière provisoire, car la fermeture du musée est prévue pour le 29 juin. « Sera-t-il alors possible de continuer d’organiser des expositions temporaires ? Pour le moment, le problème est que nous n’avons aucune garantie de la part de la direction de l’AP-HP quant à la relocalisation temporaire puis définitive du musée », souligne-t-il. Le musée de l’AP-HP et son enveloppe prestigieuse, l’hôtel de Miramion, formaient jusqu’ici un ensemble patrimonial cohérent. L’un sans l’autre, il va falloir tout repenser. « L’objectif serait maintenant une restructuration, la redéfinition des missions du musée pour en réaliser un nouveau, plus moderne », confie Jacques Deschamps. Et lorsqu’on lui demande si, finalement, ce n’est pas un mal pour un bien, il nous répond, pour rester optimiste malgré tout, « Il le faudra… ».
François Chast, chef du service de pharmacie pharmacologie toxicologie des hôpitaux universitaires de Paris Centre, s’indigne également de la vente de l’hôtel de Miramion : « On ne s’est jamais enrichi en vendant les petites cuillères de grand-mère ! ». Révolté, il craint pour l’avenir des collections du musée, dont le dépôt prévu initialement dans les locaux de l’Hôtel-Dieu, où doit être créé un pôle culturel, reste très incertain.
La vente prochaine de l’hôtel de Miramion, si elle rapportera sans aucun doute plusieurs dizaines de millions d’euros, constitue une perte patrimoniale irremplaçable, une atteinte dramatique à la mémoire de l’identité de l’institution hospitalière. Bientôt, on pourra peut-être voir à sa place, sur les quais de Seine, se dresser un hôtel de luxe…
Dans votre bibliothèque
« Deux par deux »
« Notre Santé est en jeu »
Quelles solutions face au déclin du système de santé ?
Dans votre bibliothèque
« Le Bureau des affaires occultes », ou les débuts de la police scientifique
USA : frites, bière, donuts gratuits… contre vaccin