Façade boisée rythmée par deux entrées distinctes, la boutique du Père Blaize présente un double visage, à la fois pharmacie et herboristerie. Une singularité qui a participé à l’écriture de l’histoire de cette officine : l’histoire d’une compétence unique devenue rare aujourd’hui et qui s’est pourtant affinée au fil des décennies au cœur de la petite rue Méolan (rebaptisée « rue Méolan et du Père Blaize »).
« Je me suis battue depuis 40 ans pour maintenir mon titre de pharmacienne-herboriste », nous dit d’emblée Martine Blaize-de Peretti, pharmacien et dernière descendante du fondateur du lieu en 1815. Ce titre, en fait, n’existe pas officiellement mais devrait faire l’objet d’une réflexion, selon elle, quitte à repenser les formations des jeunes pharmaciens : « Je suis inquiète car ces connaissances se perdent, la pharmacognosie est devenue le parent pauvre des universités. Il faudrait la réhabiliter et penser la phytothérapie comme une science ne pouvant être pratiquée que par des professionnels dotés d’une déontologie thérapeutique, à savoir, nous, les pharmaciens. Or tout ce marché est en train de partir ailleurs, vers les grandes surfaces, les stations-service. C’est impensable, les plantes ne peuvent être prises à la légère. Je plaide d’ailleurs pour que les pharmaciens soient plus nombreux à ouvrir des corners de phytothérapie. » Une revendication également chevillée aux lèvres de Cyril Coulard, l’actuel pharmacien titulaire qui a pris la suite en 2013 : « Nous sommes la seule pharmacie aujourd’hui entièrement dédiée à la phytothérapie. Nous sommes donc les seuls à faire le trait d’union entre le métier de pharmacien et les connaissances de l’herboriste », estime-t-il en évoquant la disparition du diplôme d’herboriste en 1941. Depuis cette date en effet, seuls les diplômés antérieurs avaient eu le droit de poursuivre leur activité, autant dire qu’il n’en reste plus (avant 1941, il y avait une trentaine d’herboristeries à Marseille et plus de 4 000 en France), faisant de l’herboristerie du Père Blaize une des seules à être dans la légalité, sa compétence d’herboriste devenant une valeur ajoutée connectée et encadrée par l’exercice de la profession de pharmacien. L’histoire de l’officine marseillaise, qui s’est construite au début sur les fondations d’un savoir empirique pour ensuite évoluer vers des connaissances scientifiques, reflète une vocation, celle des plantes, celle qu’avaient déjà les premiers apothicaires-botanistes.
Un guérisseur, deux herboristes, quatre pharmaciens
Toussaint Blaize, le fondateur, était guérisseur-rebouteux, un savoir qu’il implante dans une échoppe, dès 1815, au plus près du port grouillant où affluaient un grand nombre d’épices, ce qui lui permet d’agrandir rapidement son arsenal thérapeutique. Au fil de sa longue vie (90 ans !), il acquiert une solide réputation d’homme de bien, sachant soigner par les plantes. Il s’occupe en particulier des indigents et participe à l’élaboration de la Société d’horticulture du parc Bortoli à Mazargues. Les maîtres-mots de la boutique sont alors infusions et décoctions et les étagères se remplissent de boîtes à simples, toujours visibles aujourd’hui (dans une version légèrement réactualisée mais ayant gardé le cachet d’antan).
La plus célèbre de ses créations maison est la « Tisane de longue vie » qui fait le tour du monde, colportée en particulier par les missionnaires en partance pour l’Afrique - probablement sensibles à la mention « foie, bile, paludisme » indiquée sur l’étiquette. Cet élixir iconique est toujours commercialisé aujourd’hui sous le nom de « Tisane du centenaire ». Son fils François l’épaule, obtient son diplôme d’herboriste de 2e classe avant de décéder la même année que son père, en 1865.
Là où l’histoire prend un virage intéressant, c’est lorsqu’on apprend que sa veuve, Marianne, obtient, elle aussi, le diplôme d’herboriste, en 1866, afin de lui succéder, permettant à l’entreprise familiale de perdurer et que sa fille, Pauline, a la bonne idée d’épouser un herboriste qui porte le nom de Joseph Bonnabel. Pendant toute la deuxième partie du XIXe siècle, le savoir-faire, les secrets des plantes, mais aussi les connaissances botaniques se transmettent ainsi de génération en génération, légitimés par le diplôme d’herboriste qui s’obtient, devant un jury de pharmaciens, après deux ans d’études, et donne le droit de vendre les plantes indigènes – nombreuses en Provence – et exotiques, à l’exception des plantes vénéneuses inscrites au Codex. L’herboriste, censé connaître sur le bout des doigts les vertus des plantes médicinales, peut également procéder à des mélanges en indiquant leurs compositions précises sur les sachets. Paul, le fils de Joseph et Pauline, grand-père de Martine, est le premier pharmacien de la famille, diplômé de 1re classe en 1917. Il crée un nombre conséquent de spécialités et s’improvise talentueux publicitaire. Verveine, tilleul, camomille, les remèdes purgatifs et laxatifs partent comme des petits pains et le pharmacien agrandit sa boutique en 1934. La pharmacie-herboristerie a pignon sur rue et ne cessera de développer ses spécialités avec Maxence, son fils, qui transmettra la même passion à sa propre fille, férue de phytothérapie et d’aromathérapie. « Petite-fille, mon père m’emmenait cueillir les plantes, j’en faisais des herbiers, je le regardais faire avec passion », témoigne-t-elle en indiquant qu’à partir des années 1970, du temps où elle se trouvait derrière le comptoir, la clientèle s’est mise à changer, avec la libération de la femme. Martine a donc créé de nombreuses préparations magistrales jusqu’en 2015, des remèdes contre les jambes lourdes, le stress et la fatigue notamment. L’actuel pharmacien est le premier qui n’est pas de la dynastie Blaize mais il est animé de la même flamme.
Récupérer notre monopole
« J’ai toujours connu cette officine et elle m’a toujours fascinée. Mon rêve était d’y travailler », confie Cyril Coulard en nous faisant découvrir ses stocks de plantes dans l’arrière-boutique (5 tonnes par mois). C’est chose faite. Lui incombe désormais l’histoire bicentenaire de l’officine mais aussi sa singularité qu’il a à cœur de faire perdurer dans un climat qu’il juge pourtant difficile et contraignant. En 1978, il y a eu une première libération de 34 plantes, puis en 2008, 148 plantes supplémentaires échappent au monopole des pharmaciens. Apparaissent alors les huiles essentielles vendues en dehors des pharmacies, la vogue des gélules à base de plantes dans laquelle l’industrie s’est engouffrée, la confection de tisanes par quiconque à condition d’utiliser uniquement les plantes libérées et de n’indiquer aucune allégation thérapeutique. « Les pharmaciens ont perdu le monopole sur les plantes et n’en ont pas conscience », estime Cyril Coulard, soucieux de la réglementation drastique qu’il doit supporter face à une perte de plus en plus inquiétante de l’expertise que seul le pharmacien peut apporter dans l’utilisation médicinale des plantes. Selon lui, la réponse se trouve dans une législation qui devrait changer en faveur des pharmaciens mais est aussi dans ses murs, chez le Père Blaize, là où le soin par les plantes sert le traitement allopathique, comme le prouve le partenariat qu’il a signé avec l’Institut Paoli-Calmettes afin de proposer un protocole d’accompagnement complémentaire à la chimiothérapie. Les recherches sont loin d’être terminées dans ce domaine mais saint Blaise, patron des guérisseurs, continue de veiller sur la plus végétale des officines.
Sur l’histoire des Blaize, lire « Les Blaize, une dynastie. Six générations d’herboristes depuis 1815 », par Martine Blaize-de Peretti, éditions Edisud.
Site de la pharmacie : http://www.pereblaize.fr/
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