« LA JEUNE femme en proie aux tourments de Lucine/ Ô d’un double mystère ineffable pouvoir :/ Au moment qu’elle enfante, elle croit concevoir ». Le lyrisme désuet de Barthélémy Auguste-Marseille (1796-1867) rappelle le rôle joué par l’éther dans l’anesthésiologie balbutiante du XIXe siècle. S’il fut, on le voit, réputé permettre à la femme de s’affranchir dans la jouissance (!) des affres de l’accouchement, il fut alors utilisé pour de nombreuses interventions chirurgicales.
Cette histoire débuta en 1818, lorsqu’un préparateur en pharmacie anglais, Michael Faraday (1791-1867), découvrit le pouvoir narcotique de l’éther. Toutefois, il ne remarqua pas l’intérêt en anesthésie de cette substance qui fut, en pratique, exploitée pour la première fois par un médecin américain, Crawford W. Long (1815-1878). Ayant observé que son usage à des fins toxicomaniaques, banal au début du XIXe siècle, avait une action insensibilisante, l’idée lui vint d’en administrer pour abolir la douleur chirurgicale. Il testa avec succès la méthode sur un certain James Venable, auquel il enleva un kyste du cou le 30 mars 1842, à Jefferson (Géorgie), mais ne fit alors guère de publicité sur cette intervention.
Ce fut un chirurgien de Boston, John C. Warren (1778-1856), qui popularisa l’anesthésie par éther en réalisant une intervention publique sur Edward G. Abbott, 52 ans, imprimeur de son état, qui présentait une tumeur vasculaire de la mâchoire. La véritable vedette fut toutefois le « léthéon », un appareil conçu par un touche-à-tout de la médecine, William T. G. Morton (1819-1868). Ce dernier devait beaucoup aux observations d’un chimiste réputé de Boston, Charles Jackson (1805-1880), fin connaisseur de l’éther sulfurique, qui avait montré en 1844 que son inhalation entraînait une rapide perte de conscience : consulté par Morton, il le conseilla pour la fabrication du fameux léthéon grâce auquel il arracha sans douleur, le 30 septembre 1846, une dent infectée d’un commerçant, Eben Frost. Tout s’enchaîna vite ensuite. L’appareil fut présenté dans la presse. Un chirurgien, Henry J. Bigelow (1818-1890), lut l’article. Il pressa Warren d’opérer grâce au léthéon. Abbott passa sur le billard le 17 octobre 1846. Dix minutes plus tard, finissant de recoudre la plaie, Warren se tourna vers l’assistance : « Messieurs, ceci n’est pas une charlatanerie ».
Ce succès décida Morton à essayer de breveter son léthéon y compris la substance qu’il permettait d’inhaler. Mais les médecins découvrirent rapidement que celle-ci n’était autre que… l’éther. Crawford Long, annonça, tardivement, qu’il l’avait utilisé quatre ans auparavant. Charles Jackson exigea que Morton lui reverse 500 dollars ou 10 % des revenus futurs et le présenta comme un grippe-sou peu scrupuleux, cherchant à le priver de son crédit scientifique et de tout bénéfice sur l’éther.
Le procédé d’« éthérisation » fut adopté aux États-Unis comme en Europe sans que quiconque accepte de verser des droits aux enfants terribles de l’éther. Jackson édita en 1861 un « Manuel d’éthérisation », s’y présentant comme l’initiateur du travail de Morton et l’inventeur du léthéon. Morton quant à lui décéda à 48 ans d’une hémorragie cérébrale sans avoir tiré le moindre bénéfice de sa découverte.
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