4560 RP. C’est le 11 décembre 1950 que Paul Charpentier, chimiste des laboratoires Rhône-Poulenc, à Vitry-sur-Seine, synthétisa cette phénothiazine dont il ne pouvait imaginer l’impact en thérapeutique, lui qui travaillait depuis sept ans sur cette famille chimique qui livrait avec prodigalité des médicaments antiallergiques - dont la prométhazine (Phénergan) toujours utilisée. Simone Courvoisier, pharmacologue en charge du screening des molécules produites par Charpentier, observa que ce 4560 RP sortait du lot : décevant quant à ses propriétés antihistaminergique, il se révélait particulièrement sédatif et pouvait intéresser en cela un chirurgien de la Marine, Henri Laborit (1914-1995), en poste au Val de Grâce, qui explorait l’hibernation artificielle en tant que technique de prévention de chocs. Ce dernier associa donc le 4560 RP à la prométhazine ainsi qu’à un opioïde, la péthidine, en un « cocktail lytique » réputé permettre une récupération plus rapide après une anesthésie générale et une meilleure tolérance vis-à-vis de cette dernière.
Laborit pressentit l’intérêt thérapeutique du 4560 RP dès les premiers essais qu’il conduisit avec et… sur une amie psychiatre, Cornélia Quarti, laquelle accepta, en octobre 1951, de se laisser injecter le médicament afin qu’en soient mieux cernées les propriétés. Poursuivant ses travaux avec les anesthésistes Pierre Huguenard (1924-2006) et Robert Alluaume, Laborit observa que le 4560 RP induisait un « désintéressement » sans perte de conscience, suggérant de le tester en psychiatrie. Il passa dans les mains des neuropsychiatres du Val de Grâce, Joseph Hamon, Jean Paraire, Jean Velluz. Le premier patient traité, un homme de 24 ans souffrant de psychose, reçut une injection IV de 50 mg de 4560 RP, associé à de la péthidine et à du penthotal, le 19 janvier 1952. Après trois semaines de traitement, ce patient, Jacques Lh., fut déclaré « prêt à mener une existence normale » par le colonel Paraire, qui publia l’observation en mars 1952.
C’est alors qu’un chirurgien du Val de Grâce, gendre du psychiatre Pierre Deniker (1917-1998), lui-même assistant du professeur Jean Delay (1907-1987) à Sainte Anne, attira l’attention de l’équipe de cet hôpital sur l’étonnante molécule que l’on appelait désormais chlorpromazine (CPZ).
Les premières tentatives d’administration de ce médicament en monothérapie, entre mars et mai 1952, furent miraculeuses : elles permirent de calmer des aliénés jugés alors incurables. Delay et Deniker y virent le prototype du médicament actif dans les maladies mentales et il fut commercialisé en novembre 1952 comme Largactil (« d’action large »). Les psychiatres décrivirent son action « neuroleptique », c’est-à-dire sa capacité à « saisir le nerf ». Deniker œuvra à convaincre ses collègues européens de recourir à la chlorpromazine. Les États-Unis s’ouvrirent à ce médicament (Thorazine) grâce à la complicité d’un psychiatre canadien Heinz Lehmann (1911-1999). Puis ce furent l’Amérique latine, l’Australie, l’URSS… En octobre 1955, le premier congrès mondial consacré à la chlorpromazine rassembla à Sainte Anne plus de 250 psychiatres de 19 pays, dont le Pérou, Cuba et la Turquie. La psychopharmacologie moderne était née.
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