Résistant avant l’heure, diront certains, qui donna sa vie pour la France. C’est une histoire plutôt mal connue que celle de l’occupation par l’armée allemande du Nord de la France entre 1914 et 1918. Et parmi les lieux réquisitionnés, les hôpitaux sont en première ligne.
À cette époque, Joseph Willot est titulaire d’une officine au 37 rue du Vieil Abreuvoir, à Roubaix, et se retrouve mobilisé comme pharmacien aide-major de 1re classe, rattaché à un hôpital de la Croix-Rouge à Lille. Mais les conditions d’exercice deviennent très vite difficiles.
Il décide alors de se retrancher dans le petit laboratoire qu’il a créé dans la pièce attenante à son officine et dont il est très fier, au point de dire que « le laboratoire est devenu un organe vital de la société moderne ». C’est depuis ce poste plutôt original que, avec l’abbé Pinte, professeur à l’Institut technique Roubaisien, il décide d’entrer en résistance contre l’occupant.
La création de l’Oiseau de France
C’est donc au milieu des comptes d’apothicaires, des trébuchets et des mortiers que s’organisent les prémices de l’impression clandestine du célèbre « Oiseau de France » (qui eut plusieurs noms avant ce dernier : « Journal des occupés… inoccupés », « La Patience », « La Voix de la Patrie »…) sur une presse à pédale installée dans l’officine Willot.
L’« Oiseau de France » pour les gens du Nord revêt une signification particulière : ce fut l’organe de presse qui redonna courage et espoir à toute une région assujettie à la volonté allemande, destinée à être intégrée à la confédération germanique et à l’économie de la Mitteleuropa. Il faut s’imaginer la mainmise sur les liquidités bancaires, les matières premières et les machines-outils en vue de l’effort de guerre. La population de Lille, Roubaix, Tourcoing n’avait plus son mot à dire.
Dans ce contexte, Joseph Willot et le chef d’entreprise locale, Firmin Dubar, ont la même idée, celle de capter la voix des alliés diffusée par la TSF pour contrer la propagande ennemie, désormais diffusée par les journaux locaux comme la « Gazette des Ardennes ».
Voici comment, il y a tout juste cent ans, s’organisèrent ces résistants de la première heure : l’abbé Pinte captait, la nuit, les informations émanant de la Tour Eiffel et de la station anglaise des Cornouailles, puis les transmettait à Joseph Willot, qui les remettait à ses aides, les abbés Delépine et Leman, transformés pour l’occasion en journalistes rédacteurs.
L’ensemble était dactylographié à l’Institut technique de Roubaix, puis imprimé par Firmin Dubar lorsque les quantités augmentèrent. Notre pharmacien se chargeait lui-même de la distribution de sa feuille de choux clandestine - sur laquelle il était mentionné en haut de page : « cette feuille doit être brûlée après lecture » - dans les rues de Lille et Roubaix, et discrètement, sous les portes des notables.
Après deux ans d’action acharnée, Dubar et Pinte finirent par être arrêtés, suivis de la femme de Willot, puis de Willot lui-même qui n’eut que le temps de publier une ultime feuille dans laquelle il tente de sauver ses amis en endossant seul la responsabilité d’acte de presse clandestine. Mais tous furent néanmoins condamnés : Willot à dix ans de bagne en Allemagne, à la prison de Rheinbach, en avril 1917, pour être finalement libéré à la fin de la guerre, en octobre 1918. Mais la peine qu’il subit fut si dure qu’il ne survécut que quelques mois après son retour et décéda en mars 1919.
« Non, Messieurs, ne maintenez pas ce terme de crime. Nous ne sommes pas des criminels. Un crime est un acte qui déshonore l’homme qui le commet. Notre acte nous honore et je pense qu’il honore aussi l’humanité », avait-il déclaré pour sa défense à son procès. Le courage de Joseph Willot est toujours célébré par les Roubaisiens qui, s’ils connaissent bien ses actes de résistance, en ont oublié son action pharmaceutique, qui fut pourtant loin d’être anodine…
Le laboratoire moderne de bactériologie
Malgré son jeune âge, avant l’arrivée de la guerre, Willot avait eu le temps de soutenir sa thèse à l’École de Pharmacie de Paris, intitulée : « Nouveaux modes de caractérisation des acides gras par la trétrachlodrohydroquinone ». Il travailla également sur la saccharification de la diastase et sur la réaction de Wassermann, mise au point par le bactériologiste allemand Wassermann pour dépister la syphilis.
Et c’est justement pour développer ses recherches scientifiques en bactériologie que Joseph Willot aménagea un laboratoire, voisin de son officine. Il voit grand et souhaite que le laboratoire devienne un outil pour toute personne susceptible d’y avoir recours, comme l’industriel pour des conseils scientifiques, ou l’agriculteur pour des analyses d’engrais.
Mais surtout, il invite le médecin à y entrer pour mieux connaître la composition des médicaments qu’il prescrit et précise qu’il ne facturera aucune consultation pour les plus démunis. Et pour les médicaments proposés à l’officine, la liste est longue, comme en témoigne un guide des spécialités qu’il prend soin de publier en 1915. On y trouve la toute nouvelle stovaïne (anesthésique local), les traitements spécialisés dans l’opothérapie (par les glandes animales) et la zomothérapie (par le jus de viande crue) ou encore les solutions antibiotiques électro-colloïdales obtenues par électrolyse, notamment l’argent colloïdal*.
L’incroyable destin des pansements Willot
Mais l’action qui reste peut-être la plus connue pour le grand public est celle de la création, en 1912, avec son oncle Marcellin Willot, d’une fabrique de pansements, Le Crêpe Willot, dont le siège était au 196 boulevard Gambetta à Roubaix : M. et J. Willot & Cie, pansements aseptiques. La société fabriquait des bandes de gaze, du coton hydrophile, des compresses tissues et du crêpe.
Après la guerre, Marcellin continuera l’activité qui passera aux mains de ses fils, Louis et Pierre, puis des quatre fils de ce dernier. L’entreprise se déplacera à Wasquehal, puis à Linselles, en prenant le nom de Laboratoires du Caducée, et connut une activité florissante en rachetant les textiles Boussac (qui comprenaient notamment les marques Dior Couture, Ted Lapidus, Le Bon Marché ou Conforama).
Dirigé par Jean-Pierre Willot (mort le 12 juillet 2015) et ses frères (qui seront surnommés les « Daltons »), la petite fabrique de pansements le Crêpe Willot, en seulement trois générations, devint donc à partir des années 1950 le numéro 1 du textile français sous le nom de Société foncière et financière du groupe Agache-Willot, un véritable empire industriel employant 74 000 personnes pour 80 usines et 120 grandes surfaces. L’entreprise est également à l’origine de la création des couches-culottes Peaudouce qui se rapprochent le plus de l’activité d’origine initiée par Joseph Willot.
Le plus incroyable dans cette histoire est que le groupe, confronté à de multiples difficultés financières, sera mis en redressement judiciaire au début des années 1980. Pour le sauver de la faillite totale, le gouvernement de gauche tout juste élu y place à sa tête un jeune homme, également de Roubaix, qui s’appelle Bernard Arnault. Sur les ruines du Crêpe Willot, celui-ci fonde le groupe LVMH, au succès que l’on connaît. Qui aurait pu penser que la modeste officine de Roubaix et la petite fabrique Willot, créées par un héros de la Grande Guerre, deviendraient un siècle plus tard, le numéro 1 mondial du luxe !
*Voir pour plus d’informations : Bruno Bonnemain, Joseph Willot, pharmacien résistant pendant la Grande Guerre, Revue d’histoire de la pharmacie n° 357, 2008, pp.13-28.
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