SURPRIS par la fléchette qui, silencieuse, avait pénétré dans sa cuisse, le singe resta immobile quelques instants ; puis, pris de tremblements, il chuta de branche en branche pour rester immobile au sol. L’Indien, jusqu’alors accroupi à une quinzaine de mètres, se rapprocha, un poignard en os dans une main, sa sarbacane dans l’autre…
L’usage de poisons de chasse d’une puissance extraordinaire fut décrit par les Européens colonisant l’Amérique sud-tropicale dès le début du XVIe siècle. La légende voulait que les natifs décimassent les Espagnols et leurs chevaux en enduisant les pointes de leurs traits d’une étrange mixture que confectionnaient de vieilles femmes recluses qui mouraient en respirant le fumet de la préparation. Ces poisons des flèches, connus sous divers noms selon leur origine (urari, ourari, woorara, wouralia), gardèrent leur mystère trois siècles durant !
Parmi les premiers acteurs de cette saga, un Anglais : Sir Walter Raleigh (1552-1618), qui décrivit en Guyane, en 1595, la chasse à la sarbacane et cru voir dans l’ail… un antidote à la « mort silencieuse ». Plus tard, un Français, Charles Marie de la Condamine (1701-1774), séjournant de 1735 à 1745 en Amérique tropicale, ramena en Europe des fléchettes enduites du « poison des Ticunas », du nom de la société indienne qui les avait fabriquées. Il en offrit à un médecin anglais, Richard Brocklesby (1722-1797) qui, testant le poison sur le chat, constata en 1747 que le cœur battait encore plus de deux heures après la mort apparente de l’animal… ce qui ne fit qu’ajouter à un mystère qu’un naturaliste américain, Edward Bancroft (1744-1821), contribua pour sa part à percer en comprenant que le principe toxique du poison provenait de lianes. Allant plus loin, l’explorateur allemand Alexander von Humboldt (1769-1859) suspecta que le poison, qui conservait longtemps son efficacité et s’ingérait sans risque, pouvait être un alcaloïde provenant d’un Strychnos : Strychnos toxifera qu’il décrivit en 1807 - pouvait-il imaginer que son instabilité en retarderait pendant plus d’un siècle l’isolement ?
L’excentrique naturaliste anglais Charles Waterton (1783-1865), explorant l’Orénoque entre 1804 et 1812, ramena des échantillons de « wouralia » à son laboratoire de Wakefield - certains se révélèrent actifs plus d’un siècle plus tard ! -. Fort des suggestions d’un chirurgien de ses amis, Benjamin Collins Brodie (1783-1862), qui avait comprit que le poison tuait par asphyxie respiratoire, Waterton put, par ventilation artificielle, maintenir en vie un singe auquel il en avait injecté : ce premier « ressuscité » d’une curarisation, nommé Wouralia, vécut au domicile du naturaliste encore 25 ans !
Si Claude Bernard (1813-1878) réalisa de nombreuses expérimentations avec les curares - le mot s’était répandu depuis la fin du XVIIIe siècle - dont il précisa les propriétés en 1864, il fallut attendre Sir Henry Dale et la découverte de la transmission neuromusculaire pour percer le mystère de la paralysie « flasque » que véhiculent les fléchettes des chasseurs de l’Orénoque.
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