L’ÉTUDE, justement, fut l’une des préoccupations principales de notre apothicaire parisien qui voulut en faire profiter les plus pauvres. Il imagina donc un projet ambitieux « d’hôpital-école » unique en son genre. Guérir les enfants abandonnés et les pauvres bougres de la capitale et, en même temps, leur transmettre son savoir, telles furent alors ses deux nouvelles missions qui pourraient composer ensemble, pensa-t-il, dans un même lieu. Cette idée germa dans son esprit probablement à force de voir défiler dans son officine, pendant plus de vingt ans de carrière, les miséreux du quartier de la place de Grève, au pied de l’Hôtel de Ville, alors en pleine construction, qui déambulaient ou cherchaient un travail au gré des marchés au vin, au bois et au blé des bords de Seine.
Il ne tarda pas à exposer son projet au roi de France, Henri III, qui lui permit de s’établir dans l’hôpital des Enfants-Rouges dans le quartier du Marais, créé quelques années plus tôt par Marguerite de Navarre, la sœur de François Ier, pour y accueillir les orphelins. Bien que marqué de l’empreinte royale, ce lieu ne suffit bientôt plus à l’ambition de notre apothicaire. À son établissement d’accueil, il veut en effet adjoindre une école et un jardin des simples. Le but est de faire confectionner des remèdes par les jeunes de la maison de charité et de les distribuer en grand nombre, ce qui, d’ailleurs, ne va pas plaire, dans un premier temps, à la corporation des apothicaires, qui y voit une concurrence bien mal venue et lui intente même un procès.
En 1578, il décide d’acquérir les bâtiments de l’hôpital de Lourcine, dans le quartier du Faubourg-Saint-Marcel, près du cours de la Bièvre, qui servait auparavant à accueillir les syphilitiques, pour la plupart des soldats revenus malades des guerres d’Italie. Il voit dans ce vieil hôpital délabré l’occasion de débuter l’aventure de la Maison de la Charité chrétienne. Et, malgré les nombreux obstacles, notre apothicaire n’abandonnera jamais.
Un rêve en images.
Dès 1579 en effet, l’ensemble des locaux est ravagé par une crue spectaculaire de la Bièvre. Le sort s’acharnerait-il ? Nicolas Houel doit entreprendre de tout reconstruire sur sa fortune personnelle. Son rêve est si cher à son cœur qu’il décide de le mettre par écrit et en images, à travers des sonnets de sa main et des dessins d’artistes dans une série intitulée « Procession de Louise de Lorraine », datée de 1584 (conservée à la BNF). Treize dessins nous permettent d’imaginer la maison de charité idéale pensée par Nicolas Houel - par rapport à la réalité qu’elle devait être - avec son hôpital, sa maison d’enseignement, son grand jardin d’apothicaire et sa belle chapelle, représentée dans le dernier dessin, comme l’aboutissement de la procession, et de son rêve. Dédiée à la reine de France, cette série illustrée est un hommage non dissimulé à la famille royale, dont notre apothicaire espère le soutien moral et financier.
Le dessin représentant le jardin des simples nous prouve que Nicolas Houel avait des connaissances précises des jardins botaniques inventés par les Italiens à Padoue et à Pise, dès 1545, suivis par ceux de Florence, en 1554, et de Bologne, en 1567 ; les premiers du genre avec un agencement aux formes symétriques et géométriques qui permettait un classement par type de plantes.
Un médicament contre la peste.
Mais qui était donc véritablement Nicolas Houel, cet apothicaire érudit, qui nous apparaît intéressé par les arts et les lettres, proches des plus grands artistes et intellectuels de son époque ? Poète à ses heures, on sait aussi qu’il réalisa une série de sonnets offerts à Catherine de Médicis, dont il commanda les illustrations à l’un des artistes les plus en vue à la cour de France, le peintre Antoine Caron. Cette série intitulée « L’Histoire de la Reine Artémise » est aujourd’hui célèbre pour avoir donné lieu à l’un des plus beaux cycles de tapisseries tissées par les manufactures royales au début du XVIIe siècle (la tenture d’Artémise est aujourd’hui conservée au Mobilier National et au musée du Louvre). Philanthrope et courtisan, Nicolas Houel avait donc ses entrées dans les milieux intellectuels à la mode et était l’ami proche du sculpteur des tombeaux de la famille royale, le grand Germain Pilon (on sait notamment qu’il fut le témoin de son mariage). Malheureusement, nous ne connaissons que peu de choses sur son enfance et sur son officine parisienne.
Fatigué par tant d’efforts, il meurt en 1587, son projet à peine achevé. La maison de la Charité chrétienne sera ensuite dirigée par un certain Audens (qui épousera par la même occasion sa veuve), puis finira par être dévolue au service de santé des armées (de fait, elle devient la première maison d’accueil des invalides de l’armée). Il ne reste plus rien des bâtiments du Faubourg Saint-Marcel, mais le jardin des simples de la maison de la charité chrétienne sera transféré et agrandi sur le terrain dit des Vieux Fossés, le long de la rue de l’Arbalète, acquis par la communauté des apothicaires-épiciers en 1624. C’est en ces lieux que seront plus tard hébergés le Collège et l’École de pharmacie. Non loin, en 1635, c’est au tour du jardin royal des plantes médicinales de voir le jour. La mode des jardins botaniques était bel et bien lancée dans toute l’Europe !
Contemporain d’André Vésale (1514-1564) et d’Ambroise Paré (1509-1590), Nicolas Houel partagea avec eux le goût des sciences et de l’innovation. Comme eux, il incarna son siècle par sa curiosité encyclopédique et ses travaux d’écriture. En 1573, il publia deux ouvrages qui firent date, le « Traité de la Peste » et le « Traité de la Thériaque et Mithridate ». Dans le premier, il préconise de prendre un médicament contre la peste qu’il appelle l’électuaire de l’œuf, utilisé notamment par l’empereur Maximilien, et grâce auquel il put guérir, apprend-on, plus de 1 500 personnes, en 1562, alors que la peste décimait toute la population parisienne. Une rue de Paris porte aujourd’hui son nom. Et plusieurs œuvres d’art l’évoquent. Il aurait probablement aimé que l’on se souvienne de lui ainsi.
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