IL N’Y A PAS si longtemps, l’hôtel-Dieu du Puy-en-Velay fêtait ses nouveaux atours, résultat du colossal chantier de réhabilitation (de 2006 à 2010) confié à l’architecte de renommée internationale Jean-Michel Wilmotte (connu notamment pour sa rénovation du Grand Louvre). Après plus de trente ans d’abandon, ce monument historique incroyable, classé au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO au titre des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, sent le neuf et déborde d’activités. Il est devenu musée interactif, centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine et lieu de congrès. La municipalité a fait le choix de l’orientation culturelle et les expositions s’y succèdent. À l’heure où la question de la réhabilitation des hôtels-Dieu « endormis » est devenue brûlante, en particulier avec Marseille, qui inaugure ce mois-ci la transformation de son hôtel-Dieu en hôtel de luxe, et Lyon, qui prend le même chemin à l’horizon 2016 (les deux projets ont été confiés à l’entreprise Eiffage), l’exemple du Puy-en-Velay est très intéressant. Ces grands projets, qui coûtent des millions, font souvent redouter le non-respect de l’histoire du lieu par les défenseurs de la sauvegarde du patrimoine. Loin de l’unique préoccupation des retombées économiques, la restructuration de l’hôtel-Dieu du Puy a obéi à une ligne de conduite louable qui met au centre du projet la mémoire du patrimoine local, en adéquation avec le label Pays d’Art et d’Histoire, et qui a même permis de restaurer des restes de fresques datant du XVe siècle. L’histoire de la médecine et de la pharmacie y est, elle aussi, toujours à l’honneur.
Le regard des caricaturistes.
En ce moment, justement, l’exposition « Rire jaune » propose de découvrir le monde de la santé au XIXe siècle à travers le regard piquant de célèbres caricaturistes. Plusieurs dessins de Daumier, Cham, Granville et d’autres, provenant en grande partie de la collection de l’Ordre national des pharmaciens, affublent les pharmaciens et les médecins de clystères effrayants car disproportionnés, de longues robes noires et de multiples instruments médicaux. La critique sociale et politique y est exacerbée. Le roi Louis-Philippe est transformé en pharmacien qui tente de trouver le bon remède ou bien en charlatan qui saigne la France aux quatre veines ! Tous les maux (de crâne, d’estomac, de dents…) y passent. Les séries de Robert-Macaire par Philippon et Daumier et les représentations du célèbre Docteur Véron, qui soigne ses malades avec la pâte soi-disant miraculeuse du pharmacien Regnault, finissent de dresser le tableau d’une France qui a mal partout.
Cette première partie de l’exposition est suivie par une présentation plus réaliste de la médecine hospitalière avec les « Souvenirs d’hôpital » d’Alfred Le Petit, journaliste, peintre et caricaturiste, qui resta malade à l’Hôtel-Dieu de Paris de 1903 à 1905, et fit plusieurs croquis, témoignages rares de son séjour au quotidien. Enfin, les progrès de la médecine sont abordés avec un tableau allégorique de la main de Charles Maurin (provenant du musée des Hospices civils de Lyon) sur l’invention de la sérothérapie par Émile Roux (dont l’hôpital moderne du Puy porte le nom). Ainsi que ses balbutiements avec, entre autres, la mode de la phrénologie. Occasion exceptionnelle de voir un ensemble de caricatures de grande qualité, cette exposition veut renouer avec l’histoire séculaire du lieu.
Un ensemble remarquable.
L’hôtel-Dieu du Puy date du XIe siècle, et n’a cessé d’être agrandi sur son promontoire volcanique, défiant presque le vide, à l’instar de la cathédrale. Il fut véritablement consacré aux soins médicaux après la construction de l’hôpital général, juste à côté, en 1687, dévolu alors à l’accueil des plus démunis. Les sœurs, appelées donades (« don de soi » en occitan) s’occupaient des soins du corps. Après leur fusion avec d’autres compagnies, et notamment les Sœurs du Christ en 1976, elles resteront à l’hôtel-Dieu jusque dans les années 1980, alors même que le bâtiment était devenu une maison pour personnes âgées. Sous l’autorité d’un apothicaire, elles préparaient les remèdes dans la pharmacie qui daterait, dans sa première version, de 1759, avant son transfert dans la partie du bâtiment construite en 1849.
L’ensemble est vaste et constitue une des plus grandes pharmacies hospitalières des XVIIIe et XIXe siècles. On y accède par un escalier dans lequel plane une drôle d’odeur de substances médicamenteuses, dégagée par diverses graines et plantes présentées aux visiteurs. Il faut d’abord traverser trois grandes salles en enfilade : le bureau, où étaient jadis conservés les comptes et les produits stupéfiants, la salle des gardes, destinée à la permanence pharmaceutique de nuit, et la tisanerie. La salle principale semble intacte, entièrement revêtue de ses étagères en bois de noyer et de merisier à la teinte légèrement mordorée, où se nichent de nombreux pots de verrerie et de porcelaine peinte typiques du XIXe siècle. Au centre, un bel alambic rappelle l’activité du laboratoire. L’ensemble est remarquable, mais à ce jour incomplet, car il manque la grande banque à pharmacie de style directoire, meuble emblématique de la préparation des remèdes du pharmacien avec sa paillasse en marbre, qui était encore bien présente il y a quelques années dans la pharmacie et qu’on peut voir sur d’anciennes photographies. L’hypothèse la plus probable aujourd’hui est que ce meuble a disparu suite à un vol. Une plainte a été déposée l’an dernier par la communauté d’agglomération. Au Puy-en-Veley, le patrimoine pharmaceutique brille de tous ses feux et fait même, apparemment, des envieux…
Entre foi et charité, qui de la Vierge Noire de la cathédrale ou des sœurs pieuses soulageaient le plus les malades ? Notre pèlerinage pharmaceutique s’arrête ici. On reviendra l’année prochaine !
Exposition « Rire Jaune, malades et docteurs (mal)traités par Daumier et ses contemporains » du 13 avril au 20 mai (prolongation prévue jusqu’en juillet).
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