En près de 150 ans d’existence, la Fédération des syndicats pharmaceutiques a connu bien des tensions avec les pouvoirs publics, mais il faut attendre 1970 pour qu’elle incite ses adhérents à se mettre en grève pour la première fois. Il s’agit alors de protester contre la création de pharmacies mutualistes, dont le développement menace directement les officines libérales et indépendantes. Ces grèves restent locales, et ont lieu dans les départements concernés par ces créations : elles contribuent à les ralentir, voire à les annuler. Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, le dossier des pharmacies mutualistes s’envenime de plus belle, entraînant cette fois une grève nationale. Elle sera bientôt suivie par des mouvements d’action menés avec l’ensemble des professions de santé, voire de toutes les professions libérales, qui redoutent la disparition de leur mode d’exercice au profit de structures salariées ou étatisées. Ces mobilisations culminent avec les grandes journées de septembre 1982 puis d’avril 1984, qui calmeront les ardeurs du gouvernement dans ce domaine.
La laborieuse négociation de la marge dégressive lissée (MDL)
1988 s’achève sur une baisse autoritaire de deux points du taux de marque avec, en novembre, une manifestation nationale et une forte grève, toutefois sans résultat concret. « Quand on vient de s’installer depuis un an ou deux, une telle baisse est particulièrement dure à encaisser », se souviennent Pierre Hickel et Jean Weisenhorn, tous deux syndicalistes du Haut-Rhin. « Les prescriptions et les prix augmentaient rapidement, de même que les nouvelles créations dérogatoires, mais le coup de frein a été brutal », ajoutent-ils. Les années qui suivent sont marquées par la négociation, parfois laborieuse, de la marge dégressive lissée (MDL), censée déconnecter la rémunération du prix du médicament sans trop augmenter ce dernier. Et en juin 1991, les pharmaciens se mobilisent à nouveau massivement, tout en invitant les Français à les soutenir en écrivant dans des « cahiers verts » leur attachement aux officines, cahiers transmis ensuite aux préfets de tous les départements.
Nous nous sommes couchés, en blouse blanche, devant les grilles du Sénat
Philippe Liebermann
Complétées par des actions plus locales, comme des rassemblements devant les préfectures ou les caisses primaires, les journées nationales de mobilisation ont connu leur lot d’anecdotes parfois savoureuses. « Nous nous sommes couchés, en blouse blanche, devant les grilles du Sénat », se souvient ainsi le Strasbourgeois Philippe Liebermann. Le 26 avril 1984, les professionnels de santé alsaciens et lorrains, pharmaciens compris, affrétèrent un train spécial pour manifester à Paris avec le reste du pays. Mais le convoi fut bloqué peu après Nancy par des sidérurgistes en grève. Furieux, les professionnels de santé quittèrent alors le train immobilisé pour occuper l’autoroute qui longeait les voies, et « séquestrèrent » pendant plus de deux heures le Préfet de la Meuse qui passait justement là dans sa voiture officielle pour accueillir Laurent Fabius, alors Premier Ministre…
En 2005, les pharmaciens organisent, avec succès, une « grève de la substitution » pour protester contre l’introduction des tarifs de responsabilité forfaitaire (TRF) à 24 mois pour les génériques
S’ils étaient très motivés, les pharmaciens n’avaient pas toujours le professionnalisme des communicants d’aujourd’hui : lors d’une grève, une officinale Parisienne expliqua à la télévision que la baisse des marges allait ruiner la profession… mais les téléspectateurs remarquèrent surtout les magnifiques bijoux qu’elle portait durant cette interview à chaud, qui fit sourire, parfois jaune, ses confrères qui la virent en direct.
En 2005, les pharmaciens organisent, avec succès, une « grève de la substitution » pour protester contre l’introduction des tarifs de responsabilité forfaitaire (TRF) à 24 mois pour les génériques ; cinq ans plus tard, leur colère s’exprime à travers plusieurs semaines de « grève des gardes » pour dénoncer des baisses de prix et d’autres mesures de rigueur touchant directement les officines.
Mobilisation contre la déréglementation prônée par le rapport Attali
Enfin, le 30 septembre 2014, les pharmaciens participent massivement à une journée nationale contre la déréglementation des professions libérales prônée par le rapport Attali, qui concernait aussi bien les officinaux que les médecins, les notaires ou les architectes. Plus de 90 % des pharmacies baissent le rideau, et le succès est au rendez-vous, puisque la plupart des mesures envisagées, y compris la fin du monopole, du numerus clausus et de la répartition territoriale passent aux oubliettes. Comme le résume Philippe Gaertner, alors président de la FSPF, « nous nous en sommes d’autant mieux tirés que quand toutes les pharmacies de France ferment en même temps, c’est très voyant »… les notaires, peu nombreux et moins « essentiels » au quotidien, n’ont pas eu la même chance et y ont laissé une partie de leur statut. Les négociations furent conduites au pas de charge par les responsables syndicaux. « Nous n’arrêtions pas de faire des allers-retours et d’enchaîner les réunions dans les ministères », se souvient Philippe Gaertner : « à la fin de la manifestation côté Invalides, le ministre du budget de l’époque, Emmanuel Macron, me proposa de me ramener avec lui à Bercy sur une navette fluviale. » Lors du trajet, poursuit-il, « il m’a précisé que le sort des pharmaciens était entre leurs mains, soit ils choisissent d’orienter leur profession vers celle de commerçant et les règles du commerce s’appliqueront, soit ils choisissent d’être des professionnels de santé et des règles spécifiques pourront être établies ».
La mobilisation du 30 mai aura-t-elle des suites aussi heureuses que celle de 2014 ? S’il est trop tôt pour le dire, surtout au vu des événements politiques actuels, les syndicalistes les plus chevronnés constatent une évolution majeure entre les grandes grèves d’autrefois et celle de 2024 : « auparavant, nos revendications portaient surtout sur des points précis alors que cette fois, nous avons senti une colère, un découragement et un mal-être plus diffus, mais aussi beaucoup plus profond. »
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