Histoire de la pharmacie

Pots, chevrettes et majoliques sous le feu des enchères

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Publié le 19/06/2017
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On ne peut pas dire que la vente aux enchères de pots à pharmacie orchestrée par Artcurial dans la salle 10 de l’Hôtel Drouot, la semaine dernière, ait atteint des sommets. Mais c’est peut-être là justement où résidait son intérêt. Tout le monde pouvait enchérir et il y avait de bonnes affaires à faire !
paire de chevrettes

paire de chevrettes
Crédit photo : Artcurial

personnel

personnel
Crédit photo : Artcurial

Pots de montre

Pots de montre
Crédit photo : Artcurial

« Regardez le 1er lot, par exemple, nous dit Olivier Lafond, président de la Société d’histoire de la pharmacie, en attirant notre attention sur une très belle pièce, dans le style de Louhans, partie pour seulement 2 500 euros. Ce n’est pas très élevé pour une chevrette de cette qualité », souligne-t-il. La pièce en question, dans le style hispano-mauresque, datée du XVe-XVIe siècle, ne détonnerait pas dans la vitrine d’un musée, ni dans l’ancienne apothicairerie de Louhans, considérée comme une des plus belles de France, où sont conservées plusieurs de ses semblables. De la même manière, pour le pot suivant, sur lequel on aurait presque eu l’envie d’enchérir – en levant la main, discrètement bien sûr, comme tout le monde fait à Drouot, ou en esquissant un léger hochement de tête pour faire monter les enchères - il a trouvé preneur à 120 euros, autant dire une bagatelle !

Le début de la vente a donc vu de jolis objets pharmaceutiques partir à des prix plus que raisonnables. Olivier Lafond, assis au quatrième rang, a suivi le déroulé des enchères avec intérêt de son œil d’expert : « Le lot 10, un mortier en bronze d’Iran daté du XIIIe siècle, est une très belle pièce, elle aussi est partie pour une timide enchère à seulement 650 euros. On aurait pu penser qu’elle monterait beaucoup plus », précise-t-il. Une magnifique pièce qui a donc fait ce jour-là un heureux propriétaire.

Adjugé !

Dans la salle et au téléphone, des connaisseurs, des amateurs et des pharmaciens évidemment. Au deuxième rang, en bonne position, un collectionneur passionné par les faïences pharmaceutiques regarde chaque lot avec attention. C’est un habitué des salles de ventes, surtout lorsque de belles majoliques colorées ornent les catalogues, ce qui n’est pas si fréquent. Venu juste par curiosité, il repartira finalement avec plusieurs lots achetés, dont deux pots à pharmacie. Alors que nous le questionnons sur ces habitudes d’achat, il aime se souvenir qu’il était à la vente organisée par Fraysse et associés en novembre 2015 où étaient présentées de remarquables majoliques : « Aujourd’hui, la vente est moins importante et prestigieuse évidemment mais c’est aussi le charme de dénicher des objets atypiques à de petits prix », souligne-t-il. Mais il avoue aussi qu’il n’était pas à la vente des belles majoliques de la collection Guerlain, dispersées chez Beaussant-Lefèvre, le 31 janvier dernier, dont les pièces de collection ont atteint des sommes beaucoup plus astronomiques. « C’était une autre sphère », dit-il en souriant. On ne peut pas à chaque fois acheter des lots d’exception !

Même si les prix sont restés dans la fourchette de leur estimation pour la plupart, notons quand même qu’il y eut quelques belles envolées comme pour un petit pilulier italien, de Casteldurante, daté du XVIIe siècle, acquis à 900 euros, au-delà de son estimation, ou bien pour deux grands vases de montre, au décor bleu sur fond blanc, aux inscriptions de « C. Hiacinthe » et de « Thériaque », en provenance de Montpellier ou de Saint-Jean du Désert et datés du XVIIIe siècle, partis pour 4 200 euros la paire. Plus étonnant, un petit pot de Montpellier, daté fin XVIe XVIIe siècle, orné de l’inscription « V. Aegyptiac », qui a largement dépassé son estimation de 400-600 euros pour atteindre l’enchère de 2000 euros. Un succès dû à son bel état de conservation, à sa provenance de l’ancienne collection Lafond, et surtout à sa signature attribuée à l’atelier de Daniel Ollivier, célèbre pour ses faïences pharmaceutiques durant tout le XVIIe siècle et jusqu’au XVIIIe siècle, où il obtint le privilège de devenir manufacture royale.

De belles occasions

La vente a aussi tenu ses promesses en voyant partir de belles pièces à la hauteur de leur estimation : plusieurs majoliques italiennes, ainsi que deux superbes chevrettes au subtil décor blanc sur fond bleu, caractéristique du décor dit persan de Nevers, assorti des inscriptions pharmaceutiques « H. Rosat » et « S. De Iuiub es. ». La paire a été acquise pour 8 000 euros. A contrario, les faïences de Rouen ont à peine décollé de leur prix plancher et n’ont vraiment pas eu la cote, jusqu’à être pour certaines ravalées.

Au-delà de la tendance d’un marché que peut indiquer une telle vente, il s’agit aussi de faire son œil pour mieux connaître les objets. Quoi de mieux que d’assister à une vente de cette ampleur pour en connaître plus sur l’histoire de la pharmacie. En effet, depuis l'Iran du XIIIe siècle, en passant par les prémices de la Renaissance représentés par un pot hispano-mauresque, puis les grandes heures de la faïence pharmaceutique italienne et française au XVIe et XVIIe siècle, la vente d’Artcurial proposait des pièces représentatives d’une large période chronologique s’étendant jusqu’à la fin du XIXe siècle, avec des séries de pots en porcelaine et en verre qu’on imagine aisément servir de décor à une pharmacie moderne pour y apporter une petite touche historique. On pouvait aussi y dénicher des piluliers, des balances, des biberons ou des mortiers et être attirés par la grande série d’étains offerte à la vente. Le tout pour des prix peu élevés cette fois-ci. C’est en profitant de telles occasions et grâce à des enchères plus modestes que l’on peut facilement commencer une collection. À bon entendeur !

Julie Chaizemartin

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3360