Certains croient que même après un coup fatal, il serait possible de ressusciter en trois jours. Un peu plus de trois ans après le déremboursement de l’homéopathie – que la directrice de Boiron qualifiait de « massacre organisé » –, le secteur ne semble ni tout à fait à l’agonie, ni tout à fait debout.
Lié notamment à des prises de position de médecins relayées par la presse grand public, annoncé par la ministre de la Santé en 2019 et entré en vigueur le 1er janvier 2021, « le déremboursement a été un énorme coup de massue aux conséquences très longues », indique Boiron. En effet, le laboratoire aurait enregistré une baisse importante – de 30 à 60 % – de ses ventes de produits d’homéopathie à nom commun visés par le déremboursement. Un recul qui commencerait tout juste à se stabiliser. Même son de cloche pour le laboratoire Weleda. « Nous avions sous-estimé l’impact du déremboursement », admet Ludovic Rassat, directeur de Weleda France, qui estime la chute des ventes à 60 % pour les produits soumis à prescription.
Car les prescripteurs se seraient massivement détournés de l’homéopathie, qui plus est « dans une période où le pouvoir d’achat baisse pour les français », selon Boiron. D’autant que sur la période 2020-2021, nombre de praticiens adeptes de l’homéopathie auraient tiré leur révérence. « Pendant la crise liée au Covid-19, certains médecins ont refusé l’obligation vaccinale, et beaucoup d’homéopathes âgés ont décidé, dans cette situation, de prendre leur retraite anticipée », se souvient le Dr Pascale Laville, directrice médicale du Centre de santé Saint-Jacques (Paris)*. Or le contingent d’homéopathes peine à se renouveler, les formations dédiées attirant peu, et l’enseignement universitaire s’étant réduit depuis la fin des années 2010. À l’image du DU d’homéopathie de la faculté de médecine de Lille, aujourd’hui disparu.
Difficultés d’approvisionnement
Malgré ce contexte peu favorable, les laboratoires pharmaceutiques homéopathiques assurent ne pas avoir jeté l’éponge. Ainsi, Boiron – qui semble espérer que se développe une prise en charge par les mutuelles – affirme ne pas avoir réduit son catalogue de produits, affichant sa volonté de « conserver la même offre, pour les patients ». Des patients amateurs d’homéopathie certes moins nombreux qu’auparavant, mais qui n’ont pas tous disparu. « Dans mon officine, située dans un quartier relativement favorisé où les patients apparaissent portés vers les médecines naturelles, il est clair que la demande d’homéopathie a baissé, mais quelques patients qui consultaient des homéopathes continuent de se présenter avec de longues ordonnances », décrit Félicia Ferrera-Bibas, Vice-Présidente officine de la Société française de Pharmacie clinique. Et quelques nouveaux patients jusqu’à présent « vierges d’homéopathie » continueraient de se tourner de novo vers ce type de produits pour obtenir un « accompagnement » supplémentaire – par exemple en pédiatrie, en soins de support en oncologie, etc. C’est ce qu’observe le Dr Pascale Laville, de plus en plus sollicitée. « La fréquentation de notre centre en homéopathie augmente (…) (avec) + 28 % depuis le premier janvier. »
Toutefois, certains produits doivent être commandés. Et Weleda admet n’avoir conservé que 200 références – contre 800 auparavant. Conséquence ? Certaines souches, dilutions ou galéniques peu utilisées se révèlent en pratique difficiles à se procurer. Ainsi, rapporte Éric Myon, pharmacien titulaire de la Pharmacie homéopathique de l’Europe (Paris), des références tels que l’arnica 19 CH en pommade sont rarement disponibles. Si bien que les quelques officines habituées à réaliser des préparations homéopathiques n’auraient, elles, pas enregistré de baisse d’activité, et feraient face à une demande de sous-traitance croissante, comme celle d’Éric Myon. « D’autant que nous n’avons presque pas modifié le prix de nos préparations homéopathiques – quand on peut parfois trouver des tubes à 5 euros chez certains confrères. »
Les laboratoires misent sur le conseil pharmaceutique
En fait, en matière d’homéopathie, les laboratoires se tournent davantage vers les gammes conseil. Chez Boiron, une stratégie concerne le développement d’une « homéopathie à nom commun simplifié », avec des « packs » de plusieurs souches prêtes à l’emploi : Labiaméo pour le traitement de l’herpès labial, Varésol pour la prise en charge de la varicelle, etc. Dans le même esprit, Weleda a lancé diverses présentations OTC, notamment sur les segments « mère » ou « bébé » : suppositoire homéopathique contre les poussées dentaires, huile de massage pour nourrisson, etc. Le laboratoire dit par ailleurs remettre en avant des produits anciens, notamment en lançant de nouvelles formes galéniques – à l’instar d’un roll on à l’arnica dérivé de son huile de massage pour sportifs.
Le déremboursement a accentué le clivage entre les officinaux intéressés par l’homéopathie et ceux qui ne le sont pas
Éric Myon, Pharmacie homéopathique de l’Europe
Cette stratégie de renforcement des gammes OTC repose sur l’adhésion des pharmaciens. Ce qu’ont bien ressenti certains officinaux identifiés comme délivrant de l’homéopathie – à l’instar d’Éric Myon, qui raconte faire face à « des demandes de plus en plus techniques et pointues ». Reste à savoir si la profession avancera ou non dans le sens des entreprises. Car « le déremboursement a accentué le clivage entre les officinaux intéressés par l’homéopathie et ceux qui ne le sont pas – beaucoup de ceux qui délivraient de l’homéopathie (sans grande conviction) ont lâché l’affaire », analyse le pharmacien. Par ailleurs, comme dans les facultés de médecine, la formation universitaire à l’homéopathie semble avoir reculé en pharmacie. Par exemple, le DU de pharmacie homéopathique de l’Université de Montpellier n’a pas été ouvert depuis plus de cinq ans. De même, exit le DIU consacré à l’homéopathie de l’Université de Tours. Et les « packs » prêts à l’emploi, conçus pour aider la délivrance, s’opposent à l’idée d’individualisation des traitements souvent mise en avant par les homéopathes.
Quoi qu’il en soit, pour diversifier encore davantage leur offre, les laboratoires s’aventurent surtout au-delà de l’homéopathie. En témoignent, pendant la pandémie, la production d’autotests Covid par Boiron, qui envisage de développer davantage de dispositifs de ce type. « Les autotests sont (…) intéressants pour l’entreprise, mais (leur développement) est encore vraiment à l’étape de projet. »
Orientation vers d’autres produits alternatifs
Mais les principaux champs d’intérêt des laboratoires spécialisés concernent avant tout des secteurs présentés comme proches des valeurs « prônées par l’homéopathie » (« prendre soin du patient sans risque, recourir à des produits naturels, avec pas ou peu d’effets sur l’environnement », énumère Boiron) et de l’expertise de ces entreprises – notamment en botanique.
De sorte que Boiron a lancé une gamme de produits contenant du CBD « d’origine naturelle », et noué un partenariat avec le laboratoire allemand Bionorica autour de nouveaux produits de phytothérapie. Chez Weleda, la diversification se fait via les compléments alimentaires (jus, tisanes, etc.) et davantage de cosmétiques : au-delà de la santé, l’entreprise s’ouvre au « bien-être et à la beauté », avec « l’idée que (ces éléments) sont liés », déclare Ludovic Rassat. Si bien que le laboratoire Lehning met davantage en avant ses « compléments alimentaires et cosmétiques naturels » que ses produits d’homéopathie.
Là encore, ces choix stratégiques peuvent interroger. Si l’attrait du public pour tous ces autres produits non conventionnels apparaît indéniable – Félicia Ferrera-Bibas remarque ainsi un enthousiasme pour la phytothérapie, préférée à l’homéopathie dans sa patientèle, et un récent sondage d’Odoxa suggère une adhésion notable pour les pratiques reposant sur des « remèdes naturels » –, l’usage du CBD, de l’aromathérapie et de certains compléments alimentaires n’est pas dénué de risques. Ces produits peuvent en effet interagir avec nombre de médicaments. « Dans le cadre des soins de support pour le cancer, ces produits semblent franchement dangereux », juge la pharmacienne. En outre, selon elle, l’orientation vers les compléments alimentaires pourrait « ouvrir la porte à des entreprises peu scrupuleuses ».
Perte de discernement
Au total, depuis le déremboursement, une forme de « discernement » aurait été perdue, dissoute plus encore dans cet océan de produits alternatifs. Aux yeux de Félicia Ferrera-Bibas, « l’homéopathie est tombée dans le monde de l’opinion, et se retrouve dans le même panier que les remèdes de grand-mère, qui peuvent avoir un impact négatif sur la santé, ne serait-ce qu’en retardant des soins ».
Cette situation interroge encore davantage le rapport des patients aux pratiques de santé non conventionnelles. « L’offre de médecine parallèle, douce, non conventionnelle, reste pléthorique – d’ailleurs, le déremboursement n’a pas éradiqué l’homéopathie, seulement évité qu’elle continue de bénéficier d’un statut (particulier). Elle se développe du fait d’une conjonction de facteurs : recul de l’accès aux soins, prise de conscience des effets indésirables des médicaments, exigence de performance de la société, etc. », insiste le Dr Pierre De Bremond d'Ars, généraliste (Malakoff, dans les Hauts-de-Seine) et président du collectif No FakeMed. Des problématiques que des produits alternatifs ne permettent pas de résoudre et qui mériteraient d’être véritablement prises en compte. Et pour répondre à un besoin réel de prise en charge holistique, individualisée, d’autres interventions complémentaires qui ont fait la preuve de leur efficacité et de leur sécurité mériteraient, d’après le médecin, de se développer, à l’instar de l’activité physique adaptée ou de conseils hygiénodiététiques.
*Également secrétaire générale de la Société savante d’Homéopathie et vice-présidente de la Société homéopathique de France
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