PEU DE MOBILIER d’origine dans cette pharmacie qui vit le jour en 1863, mais toujours une charmante vitrine, sorte de petit musée aménagé pour les passants, dont les objets rappellent les anciennes méthodes pharmaceutiques (qu’on ne regrette guère). Parmi les plus parlants, un ouvre bouche peu sympathique, que l’on vissait entre les dents du patient souffrant de trismus, c’est-à-dire la contraction excessivement douloureuse de la mâchoire due au tétanos ; une modeste brosse à dent en os dont on connaît, une fois n’est pas coutume, le propriétaire, un militaire blessé à Sedan en 1870, puis mort pendant la Commune ; enfin, une vieille trousse d’urgence qui contenait, entre autre chose, de l’éther, de la morphine, de la caféine et de la cocaïne injectables à l’aide d’une seringue. À côté, sont exposés des objets plus traditionnels, chinés ou donnés à l’officine, comme des balances, des pesons, des pots et des biberons. Mais la pièce la plus chargée de mémoire pour la pharmacie reste la vieille sacoche de livraison dont se servit le docteur en pharmacie Jean Séjournet pendant la guerre de 1914-2018.
Mais qui était donc Jean Séjournet ? La réponse ne se fait pas attendre. Le cousin germain de Louis Jouvet, bien sûr ! Les deux jeunes garçons étaient très proches dans leur enfance et partagèrent la même passion pour le théâtre. On comprend vite que le plus intéressant dans l’histoire de cette pharmacie, ce sont les personnages qui l’ont fréquenté et dont l’esprit hante encore les moindres recoins, parfois remplis de quelques vieux flacons poussiéreux. Une sorte de patrimoine immatériel pourrait-on dire ! L’actuelle propriétaire de la pharmacie, Marie-Hélène Maudry, la fille de Monique, qui reprend l’affaire en 2003, a conscience de travailler chaque jour dans un lieu unique, et mentionne avec enthousiasme les anecdotes qui s’y rattachent. Avant elle et sa mère, en effet, au début du XIXe siècle, Jean Séjournet et Louis Jouvet étaient à sa place. Le premier pendant 45 ans, de 1909 à 1954, et le second, en stage pendant seulement quelques mois, mais qui suffisent aujourd’hui à donner à l’officine une âme. Louis choisira le théâtre, deviendra le célèbre acteur qu’on connaît (il se plaira notamment à incarner le médecin Knock, dans une satire contre une certaine pratique de la médecine qui lui rappelait sans doute son milieu social et ses études), tandis que Jean tiendra les rênes de la pharmacie de Chatou, créant même un petit laboratoire attenant au magasin.
La pharmacie et le théâtre.
On entendra souvent de lui qu’il fut un original ! Une explication s’impose. Si la pharmacie et le théâtre étaient une histoire de famille, les caractères bien trempés aussi. Autant passionné de science pharmaceutique que de mise en scène, on apprend qu’il chroniquait à ses heures perdues quelques colonnes sur l’actualité des planches parisiennes, qu’il était un libertin revendiqué et qu’il ne se gênait guère pour dire ce qu’il pensait. Lorsqu’une femme à son goût se présentait, par exemple, il se contentait de fermer boutique et la porte se refermait sur une pancarte indiquant « Je reviens de suite ». Et il disparaissait dans son appartement, à l’étage au-dessus. Toujours son goût de la mise en scène, il avait appelé l’entrée principale de son officine « L’entrée des Artistes » tandis que la porte de derrière avait été nommée « La porte à Bonnot » car la fameuse Bande à Bonnot y avait fait une tentative de cambriolage ! Lorsque la fin de la guerre de 1940 approcha, il n’hésita pas à faire confectionner des petits cercueils de bois qu’il prit soin d’envoyer à tous ceux qu’il savait avoir collaboré avec l’ennemi.
Ces anecdotes croustillantes ne sont pas suffisantes pour se faire une idée précise du personnage. Un original certes, mais aussi un pharmacien sérieux et inventif. Une aquarelle, accrochée en bonne place dans l’officine, ainsi que d’anciennes cartes postales de la ville de Chatou, nous montrent la pharmacie telle qu’elle était en 1944, et l’on distingue, sur la gauche, la porte du laboratoire du salysérum, du nom du produit inventé par Jean Séjournet, à base de salycilate de sodium, pour traiter les rhumatismes. Pendant trente ans, un préparateur et deux assistantes se sont employés, à l’aide d’un gros autoclave et de trois conditionneuses à préparer le produit miracle de M. Séjournet, probablement l’un des derniers vestiges d’une pharmacie artisanale totalement disparue, en même temps que le laboratoire, quelques années plus tard.
Aujourd’hui, la pharmacie de Chatou dit privilégier le service à la personne et fidélise ainsi ses clients. Tout en se modernisant, elle a su garder une certaine conception de l’activité pharmaceutique déjà voulue par Jean Séjournet, qui avait fondé une société mutualiste à Chatou, L’Avenir, la première de Seine-et-Oise, anticipant ainsi le système du tiers payant. Jean Séjournet, Louis Jouvet, deux hommes que la pharmacie de Chatou ne compte pas oublier de sitôt. C’est aussi ça la mémoire vivante de la pharmacie.
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