L’HISTOIRE de la pharmacie est faite d’autant de découvertes scientifiques que de hasards, d’intuitions, de recettes miraculeuses et de coïncidences. Au début, les hommes se sont basés sur des théories qui se sont plus tard révélées fausses. La prise de remèdes ou une opération chirurgicale ont été, jusqu’au siècle dernier, accompagnées d’une grande peur et de grandes souffrances. Comment savoir si tel remède est réellement efficace, si telle potion n’est pas toxique ?
« C’est une question de dose », affirmait Paracelse en parlant de la frontière infime existant entre un remède et un poison. En prenant pour fil rouge cette constatation du médecin et alchimiste suisse de la Renaissance, trois scientifiques reconnus, Axel Kahn, Frédéric Dardel (président de l’université Paris Descartes) et Bernard Roque, ainsi que le président de la Société d’histoire de la pharmacie, Olivier Lafont, et l’historien Yvan Brohard, reviennent sur l’histoire des médicaments depuis l’Antiquité, sur les grands hommes qui ont marqué la profession d’apothicaire puis de pharmacien, sur le combat de la douleur à travers les siècles et sur la révolution chimique et industrielle qui s’opère au tournant du XIXe et du XXe siècle. Faisant suite à « Une histoire de la médecine ou le souffle d’Hippocrate », ce beau livre, publié en partenariat avec l’université Paris Descartes, riche d’illustrations provenant pour la majorité d’ouvrages précieux conservés à la Bibliothèque Interuniversitaire de Santé, veut aussi faire reconnaître que la pharmacie, au même titre que la médecine, occupe une place importante dans l’évolution du progrès humain.
Guérison royale.
La maladie est-elle une punition des dieux ? C’est ce qu’on a cru pendant des siècles jusqu’à l’époque de l’humanisme et du cartésianisme, où l’on a commencé à refuser la douleur au lieu de s’y soumettre comme à un châtiment. Aux XVIe et XVIIe siècles, les recettes, issues du Moyen âge sont encore incertaines, voire farfelues. À côté de l’opium qui soulage la douleur, le bézoard, par exemple, grosse pierre ovale censée provenir de l’estomac de chamois de Perse ou de singes de Siam, était réputé pour soigner la peste, la petite vérole, la dysenterie ou l’épilepsie. De même, les toiles d’araignées, les glandes de castor, la corne de licorne, la chair de vipère ou la mandragore avaient de multiples usages, magiques et thérapeutiques.
Malgré ces croyances traditionnelles, Ambroise Paré, André Vésale, Montaigne et Descartes considèrent le corps non plus comme un réceptacle des pires souffrances dans une visée théologique, mais comme un mécanisme, plus ou moins sensible à la douleur, qui a désormais les moyens de la contrer scientifiquement, de surcroît avec les substances venues du Nouveau Monde qui apportent espoir et optimisme et enrichissent la pharmacopée. Ces dernières engendrent d’ailleurs des débats conceptuels. En effet, l’université parisienne et son doyen Guy Patin refusent obstinément de reconnaître les vertus thérapeutiques du quinquina, par exemple, car elles contredisent la théorie des humeurs de Galien (le quinquina chaud et sec ne peut être fébrifuge !). Le même scénario se répète avec l’antimoine. Mais, dans les deux cas, c’est une guérison royale in extremis qui vient finalement porter crédit à la substance et l’officialiser.
Les premiers apothicaires.
Le livre fait ainsi voyager à travers différentes théories, de celle des humeurs de Galien à l’iatrochimie de Paracelse. Il revient aussi sur la profession d’apothicaire qui naît dans l’Irak des califes abbassides, au VIIIe siècle, avec les sayadila de Bagdad. En Europe, ce sont les constitutions de Melfi, dans le royaume de Sicile, au XIIe siècle, qui encadrent pour la première fois la profession. Puis apparaissent les communautés d’apothicaires avec l’examen de maîtrise d’apothicaire. De découvertes en révolutions scientifiques l’apothicaire deviendra alchimiste, chimiste et entrepreneur, avec la naissance des grandes industries au XXe siècle. La recherche fabuleuse des alcaloïdes et des sulfamides nous est alors contée.
On apprend aussi que les minéraux ont été utilisés très tôt comme l’antimoine, par exemple, dont il est fait mention dans le papyrus Ebers, un des plus vieux traités médicaux connus, rédigé dans l’Égypte ancienne, au XVIe siècle avant notre ère, et qui contient près de sept cents remèdes et formules magiques. Plus anciennes encore, des tablettes sumériennes retrouvées à Nippour en 1889, datant du IIIe millénaire av. J.-C., comportent des formules médicamenteuses en écriture cunéiforme qui constitueraient la première pharmacopée du monde. Autant dire que les hommes ont toujours eu le souci de soulager leurs maux avec les trois règnes, végétal, animal et minéral, et d’en répertorier les moyens. C’est à partir d’Hippocrate, dans la Grèce antique, que la confection des remèdes se veut plus empirique. Avec Galien (appelé le « père de la pharmacie »), le soin des maux va se fonder sur la distinction de quatre humeurs chez l’homme (le sang, la bile, la pituite et l’atrabile). Il crée une théorie tenace qui supportera peu de contradicteurs. Elle mettra en avant la purge des humeurs et deviendra la référence dans les universités européennes jusqu’au XVIIIe siècle.
L’héritage des anciens.
Des origines de la pharmacie où le processus de guérison était indissociable de l’incantation aux dieux, on s’oriente ensuite vers une discipline, encore souvent taxée de charlatanisme, puis vers une science pointue. Pourtant, les vertus constatées à l’aube de l’humanité ne sont jamais très loin. Une plante comme la digitaline, par exemple, utilisée dès l’Antiquité pour soigner, s’est révélée au XXe siècle très efficace pour les problèmes cardiaques, grâce à son principe actif, la digitaline. L’héritage des Anciens est donc toujours présent dans notre pharmacopée actuelle. On revient même aux biothérapies depuis quelques années. La différence est que nous arrivons à doser la toxicité pour faire d’une substance un remède et non un poison.
À travers de nombreux exemples, on découvre les formules et les traités pharmaceutiques. Du De materia medica du Grec Dioscoride, qui recense plus de 944 drogues, l’histoire se poursuit avec les écrits du Moyen âge et les traités de la Renaissance et des Lumières. Les célèbres pharmacopées de Moyse Charas ou Nicolas Lémery, les manuels destinés aux institutions charitables et enfin le fameux codex medicamentarius, publié en 1818, font revivre des médicaments oubliés et d’autres qui ont eu une renommée extraordinaire, comme la thériaque qui, jusqu’au XIXe siècle, fut la panacée universelle.
On ressort de la lecture de cet ouvrage enthousiasmant plus savant, mais surtout impressionné par les inventions ingénieuses de l’homme pour garder l’élan de vie et l’espoir. On se dit aussi que l’aventure est loin d’être finie pour combattre les fléaux du XXIe siècle.
Dans votre bibliothèque
« Deux par deux »
« Notre Santé est en jeu »
Quelles solutions face au déclin du système de santé ?
Dans votre bibliothèque
« Le Bureau des affaires occultes », ou les débuts de la police scientifique
USA : frites, bière, donuts gratuits… contre vaccin