Histoire de la pharmacie

Résines d’Orient, fumigations d’Occident

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Publié le 22/03/2018
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Sous la dynastie des Qing, dans la Chine impériale, l’encens avait le statut de bien d’État. Fumées de rituels religieux et de cérémonies officielles, mais aussi vapeurs thérapeutiques. Comme le présente une exposition au musée Cernuschi à Paris, la Chine et l’encens, c’est une tradition millénaire. Mais qu’en est-il des pratiques de fumigations en Occident ?
Pin Mugho

Pin Mugho
Crédit photo : Wikipedia

femme parfumant

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Crédit photo : Musée de Shanghaï

thrumb

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Crédit photo : site gralon.net

bains turco-romains

bains turco-romains
Crédit photo : BNF

brûle-encens

brûle-encens
Crédit photo : Musée du Louvre

Camphre, benjoin, ambre gris, musc, patchouli, styrax, clou de girofle, des essences qui nous font rêver aujourd’hui. Rêves d’ailleurs et de lointains, senteurs et secrets du Levant. Aujourd’hui encore, c’est en Arabie, au sud d’Oman, à proximité de la frontière avec le Yémen, que la précieuse sève du Boswellia sacra est extraite. C’est le même geste que dans l’Antiquité, quand la résine aromatique valait de l’or. Il s’agit de l’oliban. Elle quittait sa terre d’origine par voie maritime ou terrestre pour rejoindre l’Égypte, la Mésopotamie, la Chine, l’Inde et l’Afrique, mais aussi l’ère méditerranéenne avec la Grèce et Rome. Une histoire commerciale légendaire d’où émergent les silhouettes des Rois Mages et le récit biblique. Les essences sont chauffées et mélangées sur des brûle-parfums. Bois de santal, musc et myrrhe mêlent leurs vertus et leurs arômes qu’on peut toujours humer dans les échoppes des souks.

Des vertus médicinales ? Oui, l’encens, en vapeur, en mastic ou en dilution calme les douleurs d’estomac et les troubles respiratoires. Ce n’est pas les Omanais qui nieraient ce bienfait. L’encens, substance magique et mythique, est toujours produit en milliers de tonnes par an sur cette terre désertique. Ce n’est plus la ressource prospère d’autrefois – aucune concurrence possible avec le pétrole – mais l’arbre à encens, c’est aussi le patrimoine irremplaçable de l’histoire du Sultanat. En Chine, on parle du bois d’aigle. C’était le parfum préféré des lettrés et il devint le compagnon de la méditation. On le trouve aussi mentionné dans les pharmacopées impériales. Confucius n’a-t-il pas dit qu’un gouvernement idéal se devait « d’exhaler des odeurs d’encens » ! La quantité de brûle-parfums retrouvée par l’archéologie atteste d’une pratique régulière et appréciée dans les territoires qui croisaient les routes de l’encens. La ville de Petra, par exemple, devait sa prospérité au commerce de l’encens.

Purifier l'air

Chasser les maladies et purifier l’air ont été pendant des siècles les grandes préoccupations des hommes. Que ce soit en Europe, en Égypte ou en Chine, il faut donc s’imaginer que les espaces domestiques étaient envahis de vapeurs aromatiques. Homère en parlait déjà dans son Odyssée lorsqu’il décrit la désinfection d’une maison par combustion de soufre. On sait que cette méthode fut aussi utilisée au Moyen Âge lors des épisodes de peste. Mais dans ce cas, il s’agit de vapeurs assez toxiques et peu séduisantes pour l’odorat.

D’une manière plus agréable, les fumigations à base de plantes furent utilisées très tôt pour chasser les insectes, soupçonnés d’être les premiers vecteurs de la propagation des maladies. Hippocrate, dans l’Athènes antique, conseillait déjà de faire brûler du bois et des herbes aromatiques dans les rues pour stopper les épidémies. Cette méthode eut une longévité extraordinaire puisqu’elle était encore utilisée à Montpellier en 1745 lors de la peste bovine. Sont alors préconisées les vapeurs de genévrier et de vinaigre pour assainir l’air des étables. À Arles, en 1629, même scénario. Les rues sont parsemées de petits foyers où brûlent du benjoin, de l’encens, du genévrier, du pin, du romarin, de la sauge, de la lavande et de la rue médicinale.

Le succès des bains de vapeur au XIXe siècle

Penser fumigations, c’est aussi parler des bains de vapeur, au premier rang desquels on classe les thermes romains et les hammams orientaux. Mais on sait moins qu’au XIXe siècle naît la mode des bains turcs immortalisés par une célèbre toile d’Ingres, lieu d’hygiène et surtout de plaisirs ; bains de vapeur sèche, à base de benjoin, de soufre et de cinabre et bains de vapeur humide, imprégnés de fumigations aromatiques et d’alcool.

Autre expérimentation, un pharmacien créatif lance en plein cœur de Paris des bains gazeux, à vocation plus thérapeutique. Georges Guietand fut en quelque sorte le précurseur de la carboxythérapie, qui se pratique toujours, sous une forme plus moderne, dans les cures thermales, et censée soulager les problèmes cardiovasculaires, les rhumatismes, l’arthrose et les troubles des voies respiratoires. Les bains de Guietand étaient constitués de gaz carbonique, d’hydrogène sulfuré pour les maladies cutanées, et d’hydrogène pour les maladies nerveuses. Mais l’offre du pharmacien ne s’arrêtait pas là. S’étant spécialisé dans les traitements par fumigations, il proposait aussi les vapeurs mercurielles qui étaient connues pour soigner les maladies vénériennes. Ici, on est évidemment bien loin des effluves aromatiques de patchouli, et le mercure, bien qu’efficace, se révéla très toxique.

De la résine d’encens à la résine du pin mugho

Autres bains, autre lieu. C’est dans la Drôme qu’on trouve la source des bains de vapeurs sèches térébenthinées. Au début du XIXe siècle, des bûcherons s’affairent pour extraire de la poix d’un arbuste résineux de la région, le pin mugho, quand l’un d’entre eux est pris d’une effroyable douleur aux jambes. Inapte à la coupe, il reste alors près du four pour y tasser les copeaux. En peu de temps, il sentit sa douleur disparaître. Et bientôt ce sont tous les rhumatisants de la Drôme qui se bousculèrent pour se plonger dans les fours destinés à l’extraction de la poix noire. Sous l’impulsion d’un médecin qui reproduisit le processus et en constata les effets thérapeutiques, plusieurs établissements de bains sentant bon la térébenthine apparurent aux quatre coins de la France. À partir de ce succès, les pharmaciens développèrent des produits à base de résineux, à prendre en complément des cures, en particulier des sirops, des pastilles et autres bonbons à base de pin mugho, de pin des Vosges ou de pin des Landes. C’est d’ailleurs à Dax, dans le Sud-Ouest, que l’on trouve encore des cures héritières de ces premières vapeurs à la térébenthine.

L’histoire des résines végétales et de leur action thérapeutique est riche et revêt de multiples aspects. Aujourd’hui, c’est surtout sous la forme d’huiles essentielles, dans les rayons d’aromathérapie des pharmacies, qu’on les trouve. Cependant, leur vertu ancestrale attise toujours l’intérêt de la recherche. En particulier, les acides boswelliques, extraits de l'encens, qui auraient des propriétés anti-inflammatoires capables de soigner la maladie de Crohn ou la rectocolite hémorragique. En 2012, l'encens a d'ailleurs été inscrit à la Pharmacopée européenne. D’Orient en occident, cette gomme couleur miel n’a pas fini de nous livrer tous ses secrets. Et flotte comme un parfum d’éternité.

Julie Chaizemartin

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3421