L’exposition « Se soigner au Japon, plantes et pharmacopée (XVIIe – XXe siècle) » dresse en point d’orgue de son propos le portrait de Junichirô Shimoyama, « le fondateur de la pharmacie moderne japonaise et un des premiers à s’intéresser à la pharmacognosie », explique Frédéric Bonté, docteur en sciences pharmaceutiques à l’initiative de l’exposition et membre de l’Académie nationale de pharmacie.
« Cela fait trente ans que je me rends au Japon pour raisons professionnelles et l’année Japonismes m’est apparue comme l’occasion de mettre en valeur le fonds de la Bibliothèque de Pharmacie », poursuit-il (l’exposition a reçu le label Japonismes 2018 qui célèbre les 160 ans des relations diplomatiques franco-japonaises). Il rencontre la figure de Shimoyama dans les archives de l’université de Strasbourg car ce dernier y avait passé quelque temps auprès de Friedrich Flückiger, le père de la pharmacognosie, qui l’influencera beaucoup. « Quand le Japon s’est ouvert, le pays a tourné son regard sur l’Allemagne et des échanges ont été organisés entre étudiants japonais et professeurs occidentaux », précise Frédéric Bonté. Ce dont a bénéficié Shimoyama, qui venait d’obtenir son diplôme de pharmacien à l’université de Tokyo. En effet, depuis le début de l’ère Meiji, en 1868, le Japon s’est ouvert complètement au monde extérieur, ce qui favorisa la vague du japonisme en Europe.
Fils de samouraï au parcours scientifique exemplaire, Shimoyama incarne donc le développement des relations franco-japonaises dans le domaine de la pharmacie au tournant du XIXe et du XXe siècle. De retour au Japon, il mettra au point un dosage de la quinine par une méthode extrêmement stable, une découverte qui aura un grand retentissement, et s’intéressera aussi au riz gluant dont il caractérise les composants. En 1908, il développe aussi le Fagol, un médicament antituberculeux, puis crée un jardin botanique pour ses étudiants, où se côtoient plantes chinoises, occidentales et tropicales. Une belle synthèse botanique des échanges entre Orient et Occident.
« Au-delà de la découverte de la vie de ce pharmacien, l’exposition s’intéresse aux plantes médicinales et à la pharmacopée japonaise à travers différents voyages de scientifiques », souligne Frédéric Bonté, qui a prêté un certain nombre de documents de sa collection personnelle pour l’occasion. « D’une manière générale, la pharmacie est assez peu traitée dans les propos de vulgarisation scientifique », ajoute Catherine Blum, de la BIU Santé, co-commissaire de l’exposition, heureuse de pouvoir montrer aussi bien des ouvrages que des objets pour raconter une histoire pharmaceutique qui commence par le rêve de l’Orient, celui des grandes expéditions maritimes.
Les pionniers
Cipango, la mystérieuse, à l’extrémité Est de la Chine, regorge d’or et d’épices, selon Marco Polo qui frôle l’archipel nippon lors de son périple. Même Christophe Collomb s’embarque pour atteindre cette terre inconnue du bout du monde, qu’il ne trouvera pas, comme on le sait. Près de cinquante ans plus tard, les Portugais accostent sur la côte japonaise, puis la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales crée le comptoir de Dejima, dans la baie de Nagasaki, une étape qui marque le début de l’influence de la médecine occidentale. Scientifiques et explorateurs vont alors commencer à se pencher sur les usages médicinaux de l’archipel.
À travers la présentation d’ouvrages anciens provenant de la BIU Santé et d’échantillons de plantes conservés au musée François Tillequin de matières médicales, le début de l’exposition met ainsi en exergue trois grandes figures de scientifiques-explorateurs qui participèrent à la diffusion de cette connaissance au XVIIe et au XVIIIe siècle : le médecin allemand Ehrenfied Hagendorn, qui s’intéresse au catechu, un dérivé de l’acacia à effet astringent qu’il nomme alors Terra Japonica dans son ouvrage, le naturaliste suédois Carl Peter Thunberg, surnommé le « Linné japonais », dont on peut admirer un exemplaire de son ouvrage « Flora Japonica » qui recense un cinquième de la flore japonaise connue aujourd’hui, et Carl Ludwig Blume, botaniste allemand, auteur du premier ouvrage occidental consacré aux orchidées dont les racines sont utilisées en médecine traditionnelle chinoise, source d’inspiration de la médecine Kampo, la médecine traditionnelle japonaise à base de plantes médicinales. « Cette médecine est très reconnue et codifiée au Japon, intégrée au système de santé. Il y a même des pharmacies d’officines et des pharmacies hospitalières Kampo », nous précise Frédéric Bonté, alors que l’exposition ne fait que survoler le sujet, nous laissant un peu sur notre faim.
L’introduction des connaissances en Europe
La dernière section de l’exposition tente de nous expliquer comment les observateurs occidentaux ont introduit leurs connaissances du Japon en Europe. À l’instar du premier « japonologue hollandais », Isaac Titsingh, qui vécut plusieurs années au Japon et s’intéressa de près à la pratique de l’acupuncture. Il rapporta dans ses bagages l’objet le plus frappant de l’exposition, la poupée Tsoë-Bosi : « C’était intéressant de montrer cette poupée et de faire un lien avec notre propos car c’est le seul objet conservé habituellement dans le lieu même de l’exposition, le musée d’histoire de la médecine », explique Catherine Blum. Elle porte sur son corps la marque des points d’acupuncture et des méridiens. À côté d’elle, de magnifiques traités anciens nous apprennent que le moxa est une composition à base d’armoise séchée que l’on chauffe afin de stimuler par la chaleur les points d’acupuncture, une technique introduite en Europe grâce aux scientifiques de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales parmi lesquels le naturaliste Engelbert Kaemper, connu pour avoir rapporté l’acupuncture et le soja en Europe (il donna aussi son nom à un flavonoïde antioxydant, le kaempférol, présent dans de nombreuses plantes et aliments).
La tâche n’était pas aisée de retracer trois siècles d’histoire thérapeutique en seulement treize petites vitrines. Pourtant, le voyage est réussi grâce à l’esquisse de quelques personnalités incontournables. Il se conclut par des échantillons de boîtes et sachets de médicaments et des publicités japonaises datant de la première moitié du XXe siècle. Pour les plus curieux, il ne reste plus qu’à tester la moxibustion, si ce n’est déjà fait, « un vrai miracle » selon un homme âgé croisé dans l’exposition qui me confie soigner son arthrite du genou depuis des années avec cette pratique. « Pas toujours bien vue des médecins », ajoute-t-il en souriant.
« Se soigner au Japon, plantes et pharmacopée XVIIe-XXe siècle », jusqu’au 9 janvier 2019. Musée d’histoire de la médecine, université Paris-Descartes, 12 rue de l’École de médecine, 75006 Paris. Tous les jours de 14 heures à 17 h 30, sauf jeudi, dimanche et jours fériés.
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