LE DROMADAIRE refuse de consommer certaines graminées contenant un principe amer jouant probablement un rôle défensif pour la plante. C’est précisément à cette substance que le biochimiste suédois Hans von Euler-Chelpin (1873-1964, Prix Nobel 1929) s’intéressa au début des années 1930 : une fois isolée, il montra qu’il s’agissait d’un alcaloïde qu’il nomma gramine, par référence aux… graminées et qu’il considéra comme susceptible d’expliquer la résistance aux parasites de certains cultivars d’orge.
Von Euler confia donc à un chimiste, Holger Erdtman (1902-1989), l’étude de cette substance indolique et ses dérivés. Voulant en confirmer la structure, ce dernier fit une erreur de synthèse et obtint l’isogramine en 1935. Ayant l’habitude de goûter les substances, il nota avec surprise que celle-ci, amère, avait la propriété inattendue d’anesthésier la langue (contrairement à la gramine).
L’un de ses étudiants, Nils Löfgren (1913-1967), entreprit la fabrication de dérivés qu’il espérait aussi efficaces que l’isogramine mais moins irritants pour les tissus. Las : testés par le physiologiste Ulf von Heuler (1905-1983, Prix Nobel 1970 et… fils de Hans !), tous se révélèrent également irritants et moins convaincants que la procaïne, qui dominait la scène d’une anesthésie locale alors utilisée pour des gestes chirurgicaux plus importants qu’aujourd’hui. Les travaux sur la gramine furent eux aussi arrêtés puisqu’elle se révéla inefficace sur les nématodes affectant le seigle.
Plus stable que la procaïne.
Löfgren reprit quelques années plus tard ses recherches sur les anesthésiques : en temps de guerre, la procaïne venait à manquer car elle était essentiellement produite en Allemagne. Il conçut puis synthétisa en janvier 1943 un produit original qu’il développa avec un étudiant enthousiaste au point qu’il n’hésita pas à l’expérimenter sur lui-même : Bengt Lündqvist (1922-1953). Ce « LL30 » (pour « Löfgren & Lündqvist »), administré à l’homme par Torsten Gordh (1907-2010 : il était à l’époque l’unique anesthésiste en Suède !), se révéla particulièrement intéressant pour les anesthésies de bloc. Le pharmacologue Leonard H. Goldberg (1911-2010) confirma qu’il était remarquablement et durablement efficace, bien toléré, et qu’il bénéficiait d’une meilleure stabilité que la procaïne. Le brevet déposé le 15 juillet 1943 pour le LL30 devenu « lidocaïne » (acétanilide anesthésique : lid-ocaïne) fut vendu par Löfgren et Lündqvist au laboratoire Astra cinq mois plus tard. Commercialisée en 1948, la lidocaïne supplanta rapidement la procaïne. Son succès fut tel que Lündqvist gagna la Suisse pour échapper aux impôts grevant les royalties que lui versait Astra. Il se consacra au nautisme et c’est alors qu’il entretenait son bateau qu’il décéda, victime d’un accident vasculaire cérébral, conséquence retardée d’une fracture du crâne consécutive à une mauvaise chute faite alors qu’il s’auto-injectait du LL30…
Löfgren, installé quant à lui sur l’île de Värmdö, se consacra à l’étude des alcaloïdes dans un petit laboratoire installé dans sa maison. Il mit fin à ses jours en 1967.
Mais l’histoire de la lidocaïne ne s’arrête pas là. En 1950, un cardiologue américain, Stephen R. Southworth, l’injecta avant d’insérer un cathéter à un patient en arythmie : la fibrillation disparut immédiatement. Son observation inaugura une vie parallèle pour l’anesthésique : celle d’antiarythmique.
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