Enfants, adultes, étrangers, Japonais, Russes ou Australiens, ils sont un million par an et viennent du bout du monde parfois, désireux d’arpenter les deux galeries qui surplombent le Cher, archétypes de l’infusion du goût italien en terre française à la Renaissance. Que manquait-il à Chenonceau ? Rien, si ce n’est peut-être une des plus belles apothicaireries qui puisse désormais se visiter en France. C’est chose faite. La seule qui ait élu domicile dans un château de la Loire.
« La première fois que je suis entré ici et que je l’ai vue, j’en suis restée bouche bée ! », confie l’agent de surveillance qui embraye avec quelques indications appropriées sur de mystérieux remèdes d’antan. « Les visiteurs se bousculent, restent en admiration. Ici, voyez, à l’intérieur l’ordonnance était placée par le médecin pour que l’apothicaire puisse la prendre », explique-t-il en nous montrant un grand pupitre de médecin qui précède juste l’espace de l’apothicairerie. Ici, la passion de la pharmacie gagne les plus néophytes et la machine à remonter le temps fonctionne à merveille devant la reproduction en couleurs d’une gravure représentant Catherine de Médicis venue rendre visite à son astrologue favori, Nostradamus.
De Catherine de Médicis à la famille Menier
La recréation d’une pharmacie à Chenonceau n’est pas simplement cohérente au regard de l’histoire de la Renaissance, elle l’est aussi au regard de la famille Menier, celle des chocolats pharmaceutiques, qui compta de grands pharmaciens au XIXe et au début du XXe siècle, et qui est la propriétaire du domaine depuis 1913. C’est ce double parcours historique qu’est amené à faire le visiteur à travers ce nouvel espace muséal. D’abord à la rencontre de la reine florentine qui savait s’entourer d’éminents savants : à sa cour, astrologues, philosophes et chirurgiens se targuaient de connaître les dernières avancées scientifiques de leur temps, le plus connu étant Michel de Nostredame, dit Nostradamus, apothicaire de formation, auteur entre autres choses d’un traité sur les confitures qui guérissent. Ce dernier connaissait-il la petite apothicairerie qui aurait existé du vivant de la reine, logée dans une pièce située au bout du bâtiment des Dômes, quelques mètres avant l’accès au château, là où se trouvaient aussi les écuries ?
C’est la conservatrice et propriétaire du château, Laure Menier, qui en a retrouvé la trace : « Passionnée par la figure de Catherine de Médicis, si injustement décriée par les romanciers du XIXe siècle (à l’exception de Balzac), je me suis intéressée à l’étymologie du nom « Médicis » ce qui m’a connectée avec le médecin Auger Ferrier et Michel de Nostredame, d’où une recherche orientée qui m’a permis de découvrir, au hasard d’une de mes nombreuses lectures, la création d’une apothicairerie dans ce même bâtiment des Dômes », confie-t-elle. Oui, car c’est bien dans ce bâtiment, justement, que vient d’être installée la nouvelle apothicairerie reconstituée.
Une apothicairerie italienne
Nul ne sait si elle ressemble à celle du temps de Catherine car aucun détail, excepté sur l’emplacement, n’est aujourd’hui connu sur son contenu. Mais si les galeries sur l’eau du château faisaient déjà penser au Ponte Vecchio de Florence, ce nouvel espace de visite respire le parfum de Santa Maria Novella et de sa célèbre pharmacie. Lors de leur mariage à Marseille, Henri II n’avait-il pas offert à Catherine « L’eau de la Reine », une eau de Cologne parfumée concoctée par les moines de Santa Maria Novella ?
On apprend que les boiseries proviennent d’un palais florentin de la Renaissance où se nichaient les étagères d’une apothicairerie transformée en bibliothèque. Grâce à de longues recherches et un réseau de marchands avertis, cet ensemble au complet de boiseries en chêne plaqué de ronce de noyer a pu être acheté il y a 4 ans par le château. Arrivés en kit, les éléments ont ensuite été restaurés (permettant de retrouver la couleur verte d’origine des étagères) puis réassemblés par un maître ébéniste afin qu’ils s’intègrent parfaitement à la grande pièce ovale qui lui sert d’écrin. La mystification est totale. Il semble en effet que l’apothicairerie ait toujours été là.
Une idée qui ne date pas d’hier
Ne manquaient plus que les pots d’apothicaire pour garnir les niches. Il se trouve qu’ils étaient déjà là, dans les collections du château, acquis depuis longtemps, au fil des années, par Laure Menier dont l’idée de créer une apothicairerie au château ne date pas d’hier. Cette descendante (par alliance) de la famille Menier ne cache pas le clin d’œil au droguier Menier, le fleuron du siège de l’Ordre des pharmaciens (dont le bâtiment, situé près du parc Monceau à Paris, fut autrefois la propriété des Menier) : « Il s’agit donc d’un petit clin d’œil à notre famille. Ma grande joie a été de trouver une apothicairerie palatine et florentine. Mon but étant d’ouvrir l’Apothicairerie de la Reine. » Quel plus bel écrin en effet que la demeure d’une famille de pharmaciens pour y conserver cette apothicairerie qui compte plusieurs centaines de pots de qualité datés du XIVe siècle au XIXe siècle, en majorité des faïences françaises et italiennes. Chevrettes, albarelli, piluliers, vases, ainsi qu’une remarquable sélection de pots de monstre, ornent désormais ce lieu unique dont le mérite est d’être intégralement recréé avec des objets historiques qui évoquent parfaitement ce qu’aurait pu rêver la reine Catherine. Quelques balances et mortiers et des séries de pots en verre viennent compléter ce décor qui va au-delà de l’époque de la Renaissance et s’apparente à un véritable petit musée.
Un peu plus loin, à l’entrée suivante du bâtiment des Dômes, on entre dans une salle qui évoque l’époque de la Grande Guerre et ce que fut l’hôpital militaire installé entre 1914 et 1918 par l’industriel Gaston Menier (premier propriétaire du château) dans les galeries du château et qui permit de soigner 2 254 soldats (un hôpital similaire avait aussi été créé dans l’usine des Menier à Noisiel). L’histoire de la pharmacie fait donc partie intégrante de l’histoire du château, surtout quand on sait que les Menier permirent aussi à des résistants et des familles juives de passer en zone libre pendant la Seconde Guerre Mondiale, dans le secret le plus total, en empruntant les célèbres galeries du château, transformées en passage clandestin d’une rive à l’autre, d’une zone à l’autre…
Bientôt un jardin des simples
C’est au restaurant gastronomique, en dégustant une délicieuse tarte au citron – agrume prisé de Catherine de Médicis pour son parfum et ses vertus digestives – accompagnée de la séduisante tisane de Catherine de Médicis aux notes citronnées composée par le pharmacien Cyril Coulard, propriétaire de la pharmacie-herboristerie du Père Blaise à Marseille, que l’on apprend que, en plus de l’apothicairerie, le château de Chenonceau souhaite mettre en place dès l’an prochain une salle pédagogique autour des plantes médicinales dans la salle adjacente à l’apothicairerie et créer à l’horizon 2022 un jardin des simples inspiré du modèle de celui de Padoue. Pour l’anniversaire des 500 ans de sa naissance, Catherine de Médicis vient d’avoir droit à un magnifique cadeau qui embellit encore un peu plus ce lieu emblématique du Val de Loire.
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