Évidemment, ce qui nous tue est aussi ce qui nous guérit. Le premier à l’avoir dit est Paracelse, et au milieu des terrariums du Palais de la Découverte, entre la veuve noire et le cobra royal, on se surprend à être à la fois fasciné et complètement terrifié. Les trente espèces parmi les plus dangereuses du monde sont réunies ici - une première en France - chacune à sa manière pouvant être une promesse de notre futur thérapeutique.
Car la recherche pharmaceutique et médicale a encore beaucoup à découvrir et à espérer des fabuleux pouvoirs du vivant. « La recherche sur le venin animal en est encore à ses balbutiements », nous explique un cartel de l’exposition tout en soulignant une inquiétude : « Malheureusement, certaines espèces auront peut-être disparu quand la médecine aboutira. » Le cœur du propos se niche ici, rejoignant le péril écologique et l’urgence de la protection de la biodiversité.
La petite histoire des poisons
Ricine (les Chemises Noires de Mussolini faisaient boire de l’huile de ricin à leurs opposants politiques), grande ciguë, jusquiame noire (mortelle à haute dose, c’est elle qui tue Hamlet dans la tragédie de Shakespeare), datura, belladone (ses baies noires contiennent de l’atropine, une substance active sur le système nerveux), digitale pourpre (aussi dangereuse qu’efficace dans des remèdes pour le cœur), toutes ces « Belles Empoisonneuses », comme les surnomme une vitrine de l’exposition, inaugurent le parcours de visite. Familières des armoires à poisons des anciennes officines, elles sont toutes aussi dangereuses que l’arsenic qui fut la cause des grands scandales d’empoisonnement à la cour des Borgia ou à celle de Louis XIV.
Cette petite histoire des poisons remonte à l’Antiquité où déjà le roi Mithridate ingurgitait quotidiennement de faibles doses de substances toxiques pour s’immuniser d’une éventuelle tentative d’empoisonnement à son encontre. De là est née la panacée, la fameuse thériaque de Mithridate, composées de 70 plantes, accompagnées d’un peu de chair de vipère, de castoreum (glandes de castors mâles), d’opium et de miel. Ce remède miraculeux figurait encore au Codex de 1884 ! La peur des poisons, voilà ce qui semble avoir motivé les plus incroyables inventions pharmaceutiques, à une époque où les crimes par empoisonnements étaient devenus légion dans les alcôves des palais et des châteaux. Socrate est condamné à boire la ciguë, Cléopâtre se suicide en se faisant mordre par deux serpents, alors même qu’on sait que les Égyptiens connaissaient le pouvoir toxique de la belladone, de la mandragore et de l’arbre à strychnine et qu’ils ont probablement découvert les propriétés de l’acide cyanhydrique, extrait par distillation des amandes du pêcher. Et l’on pourrait encore mentionner la Gauloise Locuste qui préparait les poisons de l’empereur Néron en les testant sur des esclaves avant d’en faire l’arme fatale qui fit succomber Britannicus sous l’effet d’une substance cyanurée (peut-être de l’eau distillée de laurier-cerise).
L’histoire de la pharmacie regorge de contes vaporeux, croustillants, inquiétants qui prouvent l’immense pouvoir des plantes. Le premier a en avoir recensé les vertus est le médecin grec Dioscoride dans son traité De Materia Medica qui liste 600 plantes médicinales en fonction de leur dangerosité et de leurs vertus thérapeutiques. Dioscoride répertorie ainsi plus de 1 000 remèdes et son ouvrage devient une référence dans la pensée occidentale.
Toutes ces espèces minérales et végétales dont on connaît la dangerosité légendaire, pour certaines popularisées par la saga Harry Potter, ont aussi de formidables vertus thérapeutiques. Pour l’arsenic par exemple, il a été prouvé récemment qu’il avait la faculté de traiter une forme rare de leucémie, tandis qu’on a découvert que certains minéraux radioactifs pouvaient être utilisés dans le traitement de cancers. Citons aussi l’aconit (appelée l’herbe aux loups, la plante la plus toxique d’Europe) aux vertus anesthésiantes, que l’on sait depuis longtemps capable de traiter certaines insuffisances cardiaques (utilisée par Médée pour essayer de tuer Jason dans le mythe des Argonautes). Si l’on connaît assez bien les pouvoirs thérapeutiques des plantes toxiques, dont la recherche progresse toujours au quotidien, on est, a contrario, encore loin d’avoir percé tous les secrets des animaux venimeux et vénéneux.
Le poison animal, espoir thérapeutique
C’est sur ces derniers que se concentre l’exposition. On rencontre les dendrobates, très jolis spécimens à ne surtout pas toucher. Ces minuscules grenouilles de couleurs très vives évoluent dans le nord de l’Amérique du Sud. Leur toxicité a de précieuses propriétés pharmaceutiques, comme le kokoï de Colombie, une vraie terreur de 5 cm menacée d’extinction : un milligramme de toxine de kokoï est suffisant pour tuer dix hommes ! Le poison qu’il sécrète est utilisé par les tribus d’Amazonie pour enduire leurs flèches. Un peu plus loin, on repère la phylloméduse, amphibien d’Amérique du Sud dont la peau sécrète un analgésique quarante fois plus puissant que la morphine. On apprend qu’il est aussi utilisé illégalement comme dopant pour les chevaux de course. La cantharide est un coléoptère aux célèbres vertus aphrodisiaques. À une époque, la poudre de cantharide se monnayait chère, avec la promesse de stimuler l’érection, sous forme de dragées d’Hercule ou de pastilles de Richelieu distribuées par le marquis de Sade… le revers de la médaille, de fortes irritations de la peau.
Une autre section de l’exposition s’intéresse au venin des abeilles qui, grâce à la mélittine, une protéine présente dans les toxines, commence à donner naissance à de nouveaux antibiotiques ainsi qu’à des remèdes pour détruire des cellules cancéreuses ou infectées par le VIH. Mais, cette fois encore, on s’inquiète de la disparition des abeilles. On rencontre aussi un petit lézard qui semble tout à fait inoffensif. Ne pas s’y fier. Le monstre de Gila est un animal qui produit du venin avec ses glandes salivaires. La recherche s’est intéressée à lui notamment pour créer l’exénatide, un médicament contre le diabète de type II, grâce aux expérimentations de l’endocrinologue new-yorkais John Eng dans les années 1990. Enfin, on peut aussi citer le crapaud de Leschenault, dont on sait que les toxines bloquent la croissance cellulaire et qui sont un véritable espoir pour la lutte contre le cancer, ou le mocassin à tête cuivrée dont le venin hémotoxique pourrait être efficace contre le développement et la croissance de vaisseaux sanguins dans le cas de tumeurs.
Finissons ce petit tour par le mamba noir, un serpent africain bien gardé derrière une grande vitre. Son venin neurotoxique très dangereux contient des peptides analgésiques plus puissants que la morphine et sans effet d’accoutumance. La recherche y voit de nouvelles voies à explorer pour créer les antidouleurs de demain. Serpents, lézards, amphibiens, insectes, tous gardent encore de précieux secrets.
L’exposition est une plongée formidable dans ce monde animal intriguant que l’on considère autrement en sortant, au milieu des voix d’enfants qui ne tarissent pas de questions. Ça pique, ça mord, ça tue, oui, mais ça nous sauve aussi !
Poison, exposition à voir au Palais de la Découverte, jusqu’au 30 août 2019.
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