Claude Marodon ne tient pas en place. Ce jour-là, dans le petit local de l’Aplamedom à Saint-Denis, le pharmacien raconte, enthousiaste, la bonne nouvelle matinale aux trois jeunes en service civique à l’association.
« Un tisaneur vient de m’avertir qu’il avait trouvé une source de liane d’olive, c’est super. Elle a des vertus anti-inflammatoires très intéressantes. L’infusion de ses feuilles aide à purifier le sang, à faire tomber la fièvre et réduire la tension artérielle. » Même si cette plante médicinale appartient au sérail très fermé des vingt et une réunionnaises inscrites à la pharmacopée française, elle se faisait plutôt rare ces dernières années. Alors un nouveau spot déniché, c’est peut-être la promesse d’une production relancée.
Cette scène pourrait résumer la vie professionnelle de Claude Marodon (1) : chercher et collecter des plantes, analyser leurs principes actifs, écouter et préserver le savoir des tradipraticiens, les fameux tisaneurs, soutenir la mise en place de filières et structures de recherche, de culture et de commercialisation dans les officines, sensibiliser le grand public des bienfaits mais aussi des dangers des plantes… Une liste non exhaustive tant l’Aplamedom (2), depuis sa création en 1999, n’a cessé de batailler pour valoriser ce patrimoine vert de La Réunion. « Au début, les plantes n’avaient pas autant de succès que maintenant, se souvient-il. Les pharmaciens qui s’intéressaient à la médecine traditionnelle étaient regardés de haut. Soit, considérés comme de doux rêveurs, soit comme de grands dangereux ! » Pourtant, aime-t-il à le rappeler, l’histoire de cette île, comme tant de territoires d’outre-mer, a montré que « les habitants, notamment au temps de l’esclavage, n’avaient pas attendu la médecine moderne pour se soigner et faire face aux épidémies et maladies. Alors comment pouvait-on se passer de ce savoir et mépriser les habitudes de soins que nous racontaient tous les jours nos clients dans les officines et les patients dans les cabinets ? »
La passion botanique
Déjà, dans les années 1970, alors qu’il était étudiant à Montpellier, parce qu’il n’y avait pas de fac de pharmacie sur son caillou natal, la passion de la botanique l’avait sévèrement infusé auprès des Prs Privat et Andary. Quand il revient diplômé à La Réunion, c’est à l’hôpital de Saint-Pierre, au sud de l’île, que « la découverte de la toxicologie auprès de confrères biochimistes a confirmé que ma pratique serait liée à celle des plantes ». Son admiration pour le travail d’un autre de ses confrères réunionnais, Marc Rivière, parachève l’initiation. Des actions humanitaires auprès de Pharmaciens sans frontières, notamment sur l’île voisine de Madagascar, et Médecins du monde, sont venues renforcer sa conviction d’une ethnopharmacologie incontournable en contexte ultramarin. Alors pas étonnant qu’il ait mené avec son homologue du Syndicat des pharmaciens de la Guadeloupe, Henri Joseph, le grand combat de la modification de la loi du code de santé publique permettant, enfin, l’inscription dans la pharmacopée française des plantes d’outre-mer. C’était en 2009. « Aujourd’hui, on est fiers d’annoncer qu’aux 21 déjà acquises pour la Réunion, cinq de plus feront leur apparition en 2019. »
Sur les 250 officines de l’île, une centaine est déjà convertie à la cause en offrant plusieurs rayonnages aux préparations fournies par les producteurs et transformateurs locaux. Ambaville, jamblon, faham, bois d’osto, patte poule, colle-colle, café marron, Guérit-vite… Si les noms sont exotiques, Claude Marodon est catégorique : « Une plante est une usine à molécules, ne l’oublions pas ! Malheureusement, dans l’engouement actuel pour les médecines naturelles, notre pire ennemi c’est Internet et ses charlatans. À haute dose, certaines plantes sont dangereuses, empoisonnent et tuent. La toxicité chronique est réelle. C’est pour cela que l’encadrement par des professionnels est essentiel. » Comme les conseils et la connaissance empirique des tisaneurs, plus qu’une dizaine aujourd’hui sur l’île.
Alors, pour ne pas perdre cette mine d’infos, l’Aplamedom organise des recueils de paroles dans les établissements de personnes âgées, monte chaque année avec l’académie un concours Zerbaz Péi pour inciter les scolaires à collecter les usages des plantes dans leur famille, chez leurs voisins, leurs copains. De quoi enrichir une base de données colossale, en cours de création, et aider ensuite les acteurs de la filière agricole engagés dans la culture des plantes. « Évidemment, notre ambition est aussi d’utiliser la richesse de cette biodiversité pour créer des emplois, créer un levier pour le tourisme… Nos plantes soignent mais si elles peuvent faire vivre des Réunionnais, c’est encore mieux, parie-t-il en sirotant une infusion d’Ayapana. Alors, celle-ci, vous savez, c’est bon pour la digestion et la cicatrisation, pour… ». Et voilà l’intarissable Monsieur Zerbaz, comme on dit en créole, reparti dans les bonnes feuilles de ses récits.
(1) Claude Marodon est co-auteur avec Jacqueline Smadja, du Grand livre des plantes médicinales de l’île de la Réunion, Editions Orphie.
(2) http://aplamedom.org/
Dans votre bibliothèque
« Deux par deux »
« Notre Santé est en jeu »
Quelles solutions face au déclin du système de santé ?
Dans votre bibliothèque
« Le Bureau des affaires occultes », ou les débuts de la police scientifique
USA : frites, bière, donuts gratuits… contre vaccin