Être installé « dans la rue la plus pauvre de la commune la plus pauvre de France » n’empêche pas de voir loin. Bien au contraire. Laurent Taleux ne cesse de nourrir de nouveaux projets depuis qu’il s’est installé dans la rue de l’Alma à Roubaix, il y a 30 ans. Une petite officine tout d’abord que, jeune diplômé, endetté, il s’efforce, douze heures par jour, six jours sur sept, à faire prospérer et qu’il transfère finalement quelques centaines de mètres plus loin sur plus de 200 m2 dans un décor résolument design : ciment ciré au sol, souches d’arbre au comptoir et six écrans tactiles reliés à un cloud pour présenter l’OTC.
« Ce n’est pas parce que nous nous trouvons dans un quartier pauvre qu'il faut faire du bas de gamme. Bien au contraire. De plus, il faut veiller à créer un cadre de travail agréable », déclare en forme de credo le titulaire qui emploie quatre adjoints et trois préparateurs. Laurent Taleux réalise 85 % de son chiffre d’affaires en ordonnances auprès d’une population qu’il connaît depuis deux, voire trois générations : « J’ai la chance d’avoir une clientèle très fidèle grâce aussi à ses habitudes de vie. Car même quand les habitants quittent le domicile familial pour faire leur vie dans une autre commune de la métropole, ils reviennent tous les jours voir leurs parents. » Et leur pharmacien.
Tranches de vie
Laurent Taleux connaît l’histoire de toutes ces familles dont il n’hésite pas à partager des tranches de vie. « On ne peut pas exercer dans un tel quartier si on n’a pas la fibre sociale, si on n’a pas le souci des autres. Il faut être capable de parler aux gens. Plus qu’un pharmacien, on est un confident, on les aide à remplir leurs papiers », décrit-il. Aussi, il n’est pas rare que le pharmacien soit invité aux baptêmes, aux mariages et autres fêtes dans ce quartier cosmopolite fait de maisons ouvrières, de courées et de coursives, où l’on tire encore la chaise devant la porte dès les premiers rayons de soleil. « Il arrive que quinze nationalités différentes se côtoient dans ma pharmacie », s’amuse-t-il.
Plus grave, il ajoute que le professionnel de santé doit savoir garder son rang et son impartialité. Ce principe ne l’empêche pas de s’impliquer dans le quartier. Il a ainsi dispensé au centre social, des cours de cuisine, un domaine où il excelle « à un niveau pratiquement professionnel ». Il nourrit cette passion par un potager de 150 m2 qu’il possède à la frontière belge. Il ne renonce d’ailleurs pas à l’idée de faire pousser un jour quelques combavas. Sous le ciel de Flandre ou ailleurs.
Repousser les murs
Car, gourmand de nature et d’exotisme, Laurent Taleux cultive aussi l’amour des voyages et des découvertes. Quand l’enfilade des murs de brique commence à trop peser sur son quotidien, le pharmacien pousse alors sa curiosité vers d’autres horizons.
Mordu de plongée et de photos sous-marines, il écume l’Océan indien. Globe-trotter, il bivouaque avec son épouse, enseignante, dans les coins les plus reculés de l’Afrique. À tel point que les lieux d’origine de ses patients sénégalais ou ivoiriens n’ont plus de secret pour lui. « Je parle de chez eux avec eux », dit-il simplement et avec bienveillance. « Ce quartier m’a révélé. J’ai grandi avec ma pharmacie », reconnaît cet ancien gardien de but de handball.
Conscient de ce que son métier lui a apporté, il veut en préserver l’indépendance, convaincu que la détention du capital doit rester aux mains des pharmaciens, « de ceux qui travaillent ». C’est dans cet objectif qu’il anticipe et envisage une extension dans le bâtiment voisin laissé vacant. Non pour gagner plus d’argent, assure-t-il. Mais pour maintenir son outil de travail. Tout simplement.
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