Si le chat a neuf vies, Noël Amouroux, pharmacien à Toulouse, n’en a guère moins. Sauf qu’il les mène toutes en même temps, parfois au mépris de sa santé. Pourtant cet homme aux multiples engagements n’a rien d’un agité. Bien au contraire, ce pharmacien posé prend toujours le temps d’écouter et de regarder son interlocuteur, avec douceur et empathie.
Rien d’étonnant à ce que dévouement et solidarité soient les valeurs fondatrices de sa vie professionnelle. Une vie qui aurait pu se dérouler bien loin des officines : « La pharmacie est un métier que je considérais comme bourgeois et où je ne pensais pas avoir ma place », explique-t-il.
Fils d’un modeste chef de gare de Haute-Garonne, Noël Amouroux s’engage dans des études courtes de chimie-biologie-géologie à l’université de Toulouse. À la sortie, il découvre que son DEUG ne lui ouvre guère de possibilités. Il bifurque alors vers la pharmacie, attiré par la dimension humaine du métier.
« Les études étaient différentes. En biologie, on nous demandait de réfléchir ; en pharmacie, il fallait ressortir par cœur le cours des enseignants… » Très vite, un autre obstacle survient : trouver un stage. « J’ai fait du porte à porte, se souvient-il. Chaque fois on me demandait : vous venez de la part de qui ? Et comme je n’avais personne pour me recommander, on me faisait comprendre qu’on n’avait pas besoin de moi. »
Soigner et transmettre
Il finit quand même par trouver un stage chez un pharmacien de Carbonne (Haute-Garonne) : « J’étais son premier stagiaire. C’est lui qui m’a réellement donné envie de devenir pharmacien. Nous avons toujours gardé des liens. » Diplôme en poche, il s’associe avec un pharmacien de Grisolles (Tarn-et-Garonne), et se jette à corps perdu dans le métier. Il habite la pharmacie, fait toutes les gardes, développe le secteur orthopédie. Une volonté de soigner les maux du corps peut-être puisée dans sa propre expérience, lui qui, à 20 ans, fut alité pendant sept mois pour un problème de colonne vertébrale.
Noël Amouroux, se découvre alors la passion de transmettre. Il enseigne d’abord en CFA de préparateurs, participe à ses premiers jurys universitaires, puis la faculté de pharmacie de Toulouse lui confie plusieurs enseignements : gestion de l’officine, orthopédie, toxicologie. Par le hasard d’un remplacement, il rencontre son épouse, jeune pharmacienne issue d’une famille de pharmaciens.
Ensemble, ils reprennent, en 1988, une officine toulousaine** du quartier populaire de la Roseraie. Noël Amouroux continue de multiplier les activités. Il devient le pharmacien à mi-temps du centre antipoison et de toxicovigilance de Toulouse (régulation, gestion des antidotes, formations, actions de prévention).
Entraide et partage
Entre-temps, il a démarré une carrière de pompier dans laquelle il s’investit pleinement ; il participe aux interventions, gère le stock de médicaments, assure des formations de secourisme. « C’est une expérience très enrichissante. On fréquente des gens de tous milieux, animés par le même désir de rendre service, sans aucune contrepartie. On trouve là toute la beauté de la relation humaine, de l’entraide, du partage… C’est une communauté extraordinaire, unie dans les coups durs, comme pour faire la fête ! »
Pour aller plus loin, il se forme à la médecine de catastrophe. Cela lui vaudra d’être en première ligne lors de l’explosion de l’usine AZF. Il est alors chargé de la distribution et de la rationalisation des lots de médicaments et de dispositifs médicaux auprès de milliers de blessés. Comme toxicologue, il se rend dans l’urgence sur le site pour reconnaître les produits en cause, estimer les risques… « Le premier jour a été magnifique d’humanité, d’entraide et de dévouements anonymes, souligne-t-il. Dès le lendemain, la course aux médailles reprenait ses droits… »
Dans la foulée, il travaille sur les attaques à l’anthrax survenues aux États-Unis. Les pompiers français n’ayant pas de formation aux dangers bactériologiques, il se charge en urgence de définir les procédures nécessaires à ce type d’intervention.
Délivrer n’est pas vendre
Marqué par la catastrophe AZF, par l’affaire Merah qui s’est déroulée dans son quartier, comme par les attentats du 13 novembre, il indique : « Dans ces situations, il faut savoir s’oublier, et surtout établir une vraie communication avec le public, les familles… C’est au cœur de ces drames ou avec les pompiers que j’ai compris que je ne m’étais pas trompé de voie. Le pharmacien doit écouter avec humanité et sensibilité. En officine aussi, nous sommes en première ligne pour l’écoute et le conseil. Qu’on oriente vers un produit ou vers un médecin, on doit toujours expliquer. C’est notre quotidien et je regrette que cela ne soit pas rémunéré. Un paiement à l’acte nous imposerait comme de vrais professionnels de santé publique, et non des commerçants auxquels nous sommes souvent assimilés. C’est ce que j’essaie de transmettre aux étudiants : délivrer n’est pas vendre ! Les mots ont leur importance. Je rêve de petites officines où l’on viendrait consulter le pharmacien, comme on va chez le médecin ou le dentiste. Par contre, je m’oppose à ceux qui font le métier des autres ; à la vaccination ou à la vente de lunettes loupes en pharmacie. »
Enseignant, praticien de catastrophe, homme d’officine et père de famille attentif à ses deux enfants, Noël Amouroux a toujours tout mené de front. Un challenge épuisant jusqu’à la crise cardiaque : « Après cet accident, j’ai décidé de me calmer, explique-t-il. Mais ces bonnes résolutions n’ont tenu qu’un mois… »
Aujourd’hui pourtant, une dégénérescence oculaire l’incite à céder son officine et à mettre fin à la plupart de ses engagements. Dans quelques semaines, l’heure sera venue de reprendre le chemin des Pyrénées, pour partager avec son épouse leur passion pour la randonnée. Une façon pour cet homme sage de prendre de la hauteur, encore une fois.
** Animée aujourd’hui par une équipe de 7 personnes, dont 4 pharmaciens.
Dans votre bibliothèque
« Deux par deux »
« Notre Santé est en jeu »
Quelles solutions face au déclin du système de santé ?
Dans votre bibliothèque
« Le Bureau des affaires occultes », ou les débuts de la police scientifique
USA : frites, bière, donuts gratuits… contre vaccin