Portrait

Philippe Clowez, spécialiste des champignons… des villes

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Publié le 12/10/2017
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La saison des champignons ne se résume pas à la cueillette en forêt. À force d'observation, Philippe Clowez a découvert l'extraordinaire richesse mycologique des villes, qui recèlent autant de morilles et de truffes que de champignons mortels.
champignons

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Crédit photo : J Gravend

Les tilleuls plantés sur la place, devant sa pharmacie de Pont-L’Évêque (Oise), l'ont ramené à la mycologie. L'hiver, dès qu'il pleut, Philippe Clowez voit apparaître des dizaines d'espèces très rares de champignons. « Quel statut ont-ils, s'interroge-t-il : ils sont certainement liés à l'arbre, pas à sa décomposition. »

Philippe Clowez a « fait pharma pour les champignons ». Il est aujourd'hui un spécialiste des morilles, assidu aux forums spécialisés sur Internet, et reçoit en moyenne quatre-vingts courriels par jour sur ces champignons, auxquels il s'astreint de répondre.

Ce ne sont cependant pas les goûteux champignons des forêts qui attirent son attention. Il est aussi devenu un spécialiste des champignons… des villes. « Le commun des mortels n'imagine pas qu'en réalité les truffes, les morilles, et parfois de petites espèces rares sont localisées au sein même des villes et des villages, dans les parcs, les maisons d'habitation, au bord des routes », affirme-t-il.

Une vie insoupçonnée

« Lors de pluies importantes, poursuit-il, les tilleuls des parcs et allées routières laissent exploser une vie insoupçonnée. Il suffit de regarder à 2 mètres de hauteur, au niveau du départ des branches, pour observer de tout petits champignons rares, qui se succèdent tout au long de l'année. »

Le revers de cette médaille est aussi la présence dans les jardins privés, encore plus que dans les parcs publics, de champignons hautement toxiques, voire mortels. Dans la ville voisine de Noyon, sur le parking de l'hypermarché, aux abords d'une école primaire, le long d'une rocade, il trouve des champignons aussi mortels que l'amanite phalloïde. « C'est ce champignon qu'a utilisé Agrippine la Jeune (15-59 après J.-C.) pour empoisonner dans d'atroces douleurs l'empereur Claude, et installer son fils Néron à sa place », rappelle-t-il.

La roulette russe

De très nombreux champignons, de différents degrés de toxicité, sont présents dans le quotidien de chacun, assure Philippe Clowez. Comme le paxille enroulé, la « roulette russe » : « On peut en manger quarante-neuf fois sans le moindre symptôme, et mourir pour la cinquantième. »

Le pharmacien de Pont-L’Évêque photographie les champignons, alerte aussi les élus. Mais il trouve également des champignons parfaitement comestibles en ville. Il ne tarit pas d'éloges, à cet égard, pour l'Union européenne qui a interdit l'usage du glyphosate (composant d'un herbicide très répandu), en particulier en ville. Le Noyonnais, comme toute la Picardie, a subi deux guerres. Les cimetières militaires y sont donc courants, de toutes les nations. Ceux entretenus par d'autres pays que la France (un cimetière militaire bénéficie en principe de l'extraterritorialité, NDLR), comme le cimetière allemand de Nampcel, ont une richesse végétale et animale très importante. Les champignons y sont abondants.

Certaines communes, comme justement celle de Nampcel, ont toujours prôné un désherbage manuel, se félicite le pharmacien. Mais grâce à l'interdit communautaire, il revoit de plus en plus des abeilles, des insectes, des végétaux, et des champignons. Y compris des morilles !

Le sens de l'observation

« On sait bien peu de chose sur la nature, relève Philippe Clowez. On trouve des champignons toute l'année, et pas seulement en forêt, partout où se trouve l'homme. Nous avons perdu le sens de l'observation, alors on réinvente. Le risque et le danger sont évidents, et il faut se méfier des champignons, surtout dans les jardins privés. le bassin parisien est une des plus belles régions du monde pour la morille, avec le nord de l'Espagne. C'est dû à leur sol calcaire. »

« Les patients viennent souvent me voir, me présenter un panier de champignons. Ils veulent savoir si cela se mange, et je leur dis où ils les ont cueillis. Les champignons correspondent à un sol. »

« Il existe une centaine d'espèces de morilles, un tiers en Amérique, un tiers en Europe, et un tiers en Asie. Mais toutes sont identifiables. Il faut être très prudent avec ce qu'on ramasse », avertit-il. Beaucoup de champignons ne sont pas supportés : manger une morille crue rend malade. BIen qu'il soit bien plus porté à les observer, ce confrère de Pont-L’Évêque convient pourtant « qu'il lui arrive de manger des champignons ».

Jacques Gravend

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3379