Le Quotidien du pharmacien. - Votre ouvrage a été publié au moment même où l’Institut Pasteur et le laboratoire américain Merck annonçaient l'abandon du projet de vaccin anticovid utilisant le vaccin vivant atténué contre la rougeole comme vecteur. Que s’est-il passé ?
Frédéric Tangy.- Le gros de l’écriture du livre a été terminé à la fin de l’été, on l’a retravaillé avec l’éditeur à l’automne pour une sortie programmée par Odile Jacob le 27 janvier 2021. Et patatras ! Deux jours plus tôt, l’annonce de Merck et de l’Institut Pasteur tombe.
Nous avons commencé à travailler sur des candidats vaccins dès le 15 janvier 2020, trois mois avant le pic de la crise sanitaire en France. Après tout, développer des vaccins contre les maladies émergentes est l’activité principale de mon laboratoire, on démarre donc « à risque » sachant que si ce virus ne prend pas d’ampleur, on rangera simplement notre travail dans un tiroir. Avec différentes équipes, nous obtenons plusieurs candidats vaccins en trois mois, offrant, dans les études précliniques, une bonne immunogénicité et un bon niveau de protection. À ce stade, nous transférons nos recherches à l’Autrichien Thémis, une biotech avec laquelle nous sommes en partenariat sur les projets vaccinaux de la plateforme de vaccins rougeole, biotech rachetée par Merck au mois de juin. Thémis choisit le candidat vaccin qu’il souhaite tester en clinique, puis les essais durent longtemps. Davantage que pour des candidats vaccins concurrents, sans que l’on sache pourquoi. Rien n’a filtré en dehors des communications du 25 janvier annonçant l’abandon du projet et précisant que le vaccin était très bien toléré mais induisait une réponse en anticorps inférieure à celle induite par les convalescents.
L’arrêt du projet sur la base d’un taux d’anticorps peu élevé est-elle compréhensible ?
Je comprends la décision industrielle, Merck est déjà en retard sur la vaccination contre le Covid-19, il ne souhaite pas poursuivre alors que l’étude de phase I donne des résultats qui semblent inférieurs aux autres vaccins ou candidats vaccins. Cependant, les immunologistes considèrent qu’on ne peut s’appuyer sur le seul taux d’anticorps induit par le vaccin pour évaluer le niveau de protection. Quand on fait une infection virale avec un virus à ARN non persistant, le virus réplique et nous infecte, puis entre 3 et 8 jours plus tard, on en est débarrassé. Pourtant les anticorps, les fameuses IgG, n’apparaissent que 21 jours après l’infection, ce n’est donc pas grâce aux anticorps qu’on a guéri. Les anticorps serviront en revanche lorsque l’organisme rencontrera à nouveau le même virus pour l’en protéger. Mais mesurer le taux de protection ne peut se faire que sur des populations assez larges, en phase III.
Ce projet est-il définitivement abandonné ?
Nous continuons à travailler sur les autres candidats vaccins qui n’ont pas été sélectionnés par Thémis/Merck et j’attends les résultats détaillés des essais de phase I pour comprendre ce qui s’est passé. Un possible développement industriel ultérieur dépend de tellement de choses. Si Merck n’est plus intéressé par ces autres candidats vaccins, l’Institut Pasteur récupérera ses licences. Mais pour réaliser des études cliniques, un partenaire industriel est indispensable pour fabriquer les lots cliniques. L’Institut Pasteur pourrait le faire s’il avait les financements nécessaires. Pour le moment, je considère que l’histoire n’est pas terminée. L’initiative COVAX a sécurisé 2 milliards de doses de vaccins pour 2021, alors que nous sommes près de 8 milliards sur Terre. Il y a de la place pour l’arrivée d’autres vaccins, après la première vague des vaccins d’urgence, en particulier pour des vaccins peu coûteux comme celui contre la rougeole qui coûte moins d’1 dollar la dose, et qui est facile à conserver, à 8 °C. D’autant qu’on ne connaît pas la durée de protection conférée par les vaccins, ni s’ils agissent sur la transmission, et que de nouveaux variants pourraient menacer l’efficacité des premières formules. Par ailleurs, l’Institut Pasteur travaille sur deux autres projets, un vaccin à base d’ADN et un autre utilisant un vecteur lentiviral, tous deux en phase préclinique.
Dès l’introduction de votre livre, vous expliquez que le SARS-CoV-2 daterait des années 1950. Pourquoi s’est-il réveillé maintenant ?
L’horloge moléculaire, qui consiste à comparer les génomes et leurs variations pour reconstituer un arbre généalogique, permet effectivement de dater aux années 1950 la séparation de ce virus de son cousin chez la chauve-souris, permettant le franchissement d’espèce et son adaptation à l’homme, peut-être via un hôte intermédiaire. Il a probablement infecté quelques personnes depuis les années 1950 sans qu’on le détecte, jusqu’au jour où il s’est tellement bien adapté à l’homme qu’il n’est plus passé inaperçu. C’est la même histoire avec le sida. Les premiers cas ont été détectés en 1981 en Californie mais l’analyse a posteriori a démontré que l’épidémie était rampante depuis 80 ans en Afrique.
L’épidémie mondiale que nous vivons est-elle comparable à d’autres ?
La dernière pandémie mortelle comparable est celle de la grippe espagnole en 1918. Les épidémies qui ont émergé par la suite n’ont pas duré ou ont été étouffées dans l’œuf. Les autres virus prépandémiques comme Ebola ou la fièvre de la Vallée du Rift sont heureusement restés circonscrits. Mais tout est question de ce qui est acceptable ou considéré comme tel à un moment donné. Dans les années 1960, avant l’arrivée du vaccin contre la rougeole, la maladie faisait 6 millions de morts par an. Dans les années 1980, on comptait encore 2,5 millions d’enfants qui décédaient de la rougeole, mais ça passait presque inaperçu parce qu’il s’agissait d’enfants de pays pauvres où la mortalité infantile restait élevée. Dans notre monde moderne où les vaccins et les antibiotiques ont quasiment fait disparaître les maladies infectieuses, l’émergence du Covid-19 est un choc.
Vous parlez d’une fragilité génétique de l’homme révélée par le Covid-19 qui provient de gènes néandertaliens. Pouvez-vous expliquer ?
Nous savons qu’environ 2 % de notre matériel chromosomique est issu de l’homme de Néandertal, disparu il y a 30 000 ans. Avec de grandes variations, allant de 0 % chez les Africains, car le croisement entre Homo Sapiens et Homo Neanderthalis s’est déroulé après la sortie du continent africain, à 8 %. Nous avons conservé ces gènes parce qu’ils sont utiles à la lutte contre les infections : c’est la loi darwinienne. Mais une dizaine d’études génétiques dans le monde visant à identifier les gènes susceptibles d’entraîner un Covid sévère, hors facteur d’âge ou de comorbidité, convergent toutes vers un seul groupe de gènes qui se trouve dans notre héritage néandertalien. Nous ne savons pas si cette susceptibilité est propre au Covid-19, aux coronavirus ou à d’autres pathogènes.
Des travaux récents de l’université de Cambridge, tout comme Marie-Dominique Robin dans son livre « La Fabrique des pandémies », font un rapprochement entre l’actuelle pandémie et les dérèglements climatiques. Ces dérèglements jouent-ils un rôle ou est-ce une explication opportuniste à un phénomène qui a toujours existé dans l’histoire de l’humanité ?
Oui ils jouent un rôle. C’est flagrant avec les arbovirus comme la dengue, la fièvre jaune, le chikungunya ou Zika, parce que les populations de moustiques dépendent de la chaleur, de l’humidité et des vents. Le réchauffement climatique a entraîné l’installation d’Aedes Albopictus, le moustique tigre, en France et en Italie, où l’on détecte désormais des cas de chikungunya autochtones. Les facteurs environnementaux sont déterminants. La déforestation entraîne ainsi un rapprochement de l’homme d’espèces qu’il ne devrait pas côtoyer, source de zoonoses.
Faut-il craindre qu’un jour un virus émergent décime l’humanité ?
Non, l’homme a toujours su se réinventer, il a appris à vivre avec les virus. Dans l’histoire, les pires épidémies de peste noire et de variole pouvaient décimer 60 à 70 % de la population. Si Ebola sortait un jour du continent africain ce serait dramatique parce que le taux de létalité peut atteindre 90 %. Mais jamais aucune pandémie n’a décimé l’humanité, et ce n’est pas dans l'intérêt des virus. Leur but est de s’installer et de prospérer, comme toute forme de vie. Or, sans hôte, ils disparaissent. Ils ont besoin de l’humanité pour vivre.
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