Les bilans 2018 font état d’un réseau officinal à deux vitesses. D’un côté le groupe des gagnants, constitué des pharmacies dont le chiffre d’affaires progresse de manière continue. Elles sont aujourd’hui majoritaires (entre 60 % et 52,70 % des panels étudiés par les trois cabinets comptables), ce qui n’était pas le cas en 2017.
Cependant, rappelle Philippe Becker, de Fiducial, « il y a dix ou quinze ans, plus de 90 % des pharmacies évoluaient positivement ». « Les grosses officines prennent manifestement le pas sur les plus petites, qui n’ont pas les mêmes capacités d’achats, ni la même puissance de feu, ni l’organisation optimisée des grosses structures », analyse l’expert-comptable.
De fait, à l’autre bout de l’échelle, les petites pharmacies subissent une érosion, voire un net recul de leur chiffre d’affaires. Ces officines en « évolution négative », comme le notent les experts-comptables, voient leur activité décroître de l’ordre de 2 ou 3 % d’années en années : « Ce sont toujours les mêmes, ce qui explique aussi les fermetures en bout de chaîne. » Leur situation semble même se détériorer au regard des bilans 2018. Ainsi les plus petites d’entre elles (chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros) avaient vu leur activité régresser de 1,48 % en 2017. En 2018, leur baisse d’activité a atteint 2,04 % (chiffres CGP). Fiducial note un recul encore plus net : de 0,39 % de décroissance en 2017, elles sont aujourd’hui à – 1,74 % de baisse d’activité. Philippe Becker ajoute que ce phénomène « faiblesse de chiffre d’affaires » touche également la catégorie des pharmacies d’un chiffre d’affaires se situant entre 1 et 1,5 million d’euros. Aucune croissance n’est constatée chez celles suivies par CGP (+0,03 %) tandis que les officines de cette catégorie, clientes de Fiducial, enregistrent un sursaut de 0,88 % !
Un EBE en chute de 9 000 euros
Comment enrayer la chute inexorable de ces petites structures, trop faibles pour résister à la concurrence et surtout à l’augmentation des charges ? Car c’est bien de leur rentabilité qu’il s’agit. CGP relève ainsi que la marge brute des officines d’un chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros perd 1,90 point. Fiducial remarque que celles d’un chiffre d’affaires de moins de 750 000 euros accusent un recul de plus de 3 points de leur marge brute globale (bilans clôturés au 31 décembre 2018). Ce dernier cabinet d'expertise-comptable fait état d’une érosion continue de l’excédent brut de ces petites structures : une officine d’un chiffre d’affaires de 598 000 euros a perdu non seulement 6 000 euros de chiffre d’affaires au cours des sept dernières années, mais pendant cette même période son taux d’excédent brut d’exploitation/chiffre d’affaires est aussi passé de 10,13 % en 2012 à 9,74 % en 2018 ! Un résultat en retrait de 4,92 points par rapport à la moyenne.
Conséquence, elles affichent en moyenne en 2018 un excédent brut d’exploitation (EBE) de 87 000 euros, soit 9 000 euros de moins qu’un an auparavant. À titre indicatif, les pharmacies de la catégorie supérieure (chiffre d’affaires entre 1 et 1,5 million d’euros) doublent pratiquement l’EBE, à 152 000 euros. C’est dire si la transmission de ces petites officines s’avère compliquée, tout particulièrement en milieu rural où elles ne trouvent plus de repreneurs, souligne Joël Lecoeur. Un paradoxe que souligne l’expert-comptable : « c’est justement là où nous en aurons besoin à l’avenir qu’elles menacent aujourd’hui de disparaître. »
Un sacrifice programmé ?
Rien ne permet d’affirmer dans quelles proportions ces officines sont représentées au sein des structures en difficultés financières identifiées par les experts-comptables, et que Joël Vellozzi estime au nombre d’environ 2 200, soit 10 % du réseau. Pour autant, il est clair que les petites structures sont les premières à faire les frais d’une économie officinale au ralenti (voir pages 10 à 13).
L’avenir risque fort de s’assombrir davantage pour elles tant les exigences de rentabilité seront accrues face à l’avènement des nouvelles missions. Les experts-comptables n'en font pas mystère, l’évolution vers une pharmacie de services requiert des investissements importants, y compris en personnels (voir page 14). Cette menace sur les petites structures est d’autant plus à prendre au sérieux que ni leur configuration financière, ni leur organisation actuelle, ne leur permettent en l’état de répondre à ces nouveaux défis. En un mot, leur marge liée aux ventes ne suffira pas à soutenir la création de services, ni à assurer un rôle d’acteur de premier recours.
Quelles sont ces petites officines ? Elles ne se situent pas seulement en milieu rural, elles peuvent être indifféremment implantées en centre-ville, dans des quartiers ou en zones périurbaines. Quelle que soit leur typologie, il va falloir trouver des solutions pour maintenir au sein de ces structures un niveau de rentabilité qui leur permette d’assurer les services essentiels à la population desservie. Car, au-delà de la survie économique de ces officines et de l’avenir personnel de leur titulaire, c’est l’intégrité du maillage officinal qui est en jeu. Joël Lecoeur résume la situation en posant ce syllogisme : « s’il apparaît que les officines en difficultés sont celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1,5 million d’euros, et qu’en même temps le chiffre d’affaires médian de la pharmacie française est de 1,6 million d’euros, alors se pose la question de savoir si la moitié du réseau est appelé à être sacrifiée, cela peut poser problème ! »
Une équation à une inconnue que la profession, ses syndicats, mais aussi les pouvoirs publics se devront de résoudre dans un futur proche.
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