Le prix du médicament en France concerne autant les industries pharmaceutiques que les officinaux et les grossistes-répartiteurs qui y puisent la source principale de leurs revenus. Cette affirmation est cependant de moins en moins vraie pour les pharmaciens de ville qui voient, depuis 2015, leur rémunération se désensibiliser progressivement du prix et du volume des médicaments qu’ils dispensent. La signature de l’avenant conventionnel l’été dernier entre l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), l’Assurance-maladie et les complémentaires santé confirme ce changement.
« Nous avions comme intuition profonde et de longue date qu’il fallait désensibiliser l’économie officinale de cette mécanique prix-volume, car, oui, il y aura durablement des baisses de prix parce que c’est le cycle de vie des produits de santé », explique Nicolas Revel, directeur général de l’Assurance-maladie. La réforme de la rémunération, qui a débuté en 2015, doit se poursuivre pour que la marge commerciale devienne minoritaire face aux honoraires de dispensation. L’UNCAM aurait d’ailleurs préféré que cette décorrélation de la rémunération du pharmacien des prix et volumes de médicaments vendus soit d’emblée beaucoup plus forte. « J’ai indiqué que je ne voulais pas désensibiliser simplement 200 ou 300 millions d’euros ; aujourd’hui on en est à 2,5 milliards et je veux réduire encore au moins de moitié la marge réglementée. Est-ce que oui ou non on veut aller vers une désensibilisation complète ? Si c’est non, il ne faut pas se plaindre d’être exposé au risque des baisses de prix », précise Nicolas Revel.
Trois ans de marasme
Mais pour les syndicats, il s’agissait avant tout de s’assurer que les effets de la réforme ne laisseraient aucun confrère sur le chemin. Avec la signature de l’avenant numéro 11 en juillet, c’est donc une nouvelle étape « très significative pour les trois prochaines années » qui démarre, affirme Nicolas Revel : « Nous allons arriver, fin 2020, à une part de la marge réglementée de 30 % de ce qu’elle était au tout début du processus, lorsqu’elle était encore à peu près de 5 milliards d’euros. Nous sommes bel et bien engagés dans un processus qui sort progressivement les pharmaciens d’officine de ce qui a été l’origine de la pression économique qui s’est exercée sur eux. »
Seul syndicat signataire de l’avenant conventionnel, l’USPO se félicite d’un passage à l’acte de dispensation grâce aux honoraires mis en place, ce qui va modifier l’économie de l’officine et la sortir « de trois ans de marasme ». Son président, Gilles Bonnefond rappelle en effet les pertes de marge enregistrées par la pharmacie d’officine : 118 millions d’euros en 2015, 52 millions en 2016 et 111 millions en 2017 pour la période allant de janvier à juin. « La politique de régulation est extrêmement efficace et elle pénalise à double titre les pharmaciens qui subissent les conséquences à la fois de l’accord conventionnel entre l’État et l’industrie pharmaceutique et de la stratégie qui consiste à financer l’innovation en réduisant les prix des produits matures. Car les médicaments matures sont en pharmacie quand les médicaments innovants sont à l’hôpital, donc il n’y a pas de compensation par l’arrivée des médicaments innovants en ville, l’officine est uniquement à la contribution des économies. » Heureux d’avoir obtenu cette « autonomie » de l’officine, il indique néanmoins qu’il faudra, dans le cadre du développement de l’ambulatoire, que les médicaments innovants sortent plus vite de l’hôpital pour rejoindre le « circuit classique à proximité des patients ».
Crève-cœur
Non-signataire de l’avenant conventionnel, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) n’en est pas moins très favorable à la rémunération à l’acte de dispensation, qu’elle a d’ailleurs initiée en 2015. Militant à titre personnel pour l’honoraire de dispensation depuis ses études de pharmacie, Philippe Besset, vice-président de la FSPF, rappelle que son syndicat a amorcé ce virage en 2007. Et que sa décision de ne pas signer l’avenant conventionnel l’été dernier repose uniquement sur des raisons économiques : « Nous partageons l’évolution métier qui est dans cet avenant et c’est un crève-cœur de ne pas l’avoir signé. Mais l’équilibre entre les honoraires et l’impact des baisses de prix n’est pas respecté. »
La désensibilisation du prix du médicament de la rémunération du pharmacien fait rêver les grossistes-répartiteurs. « C’est exactement le même sujet pour la répartition, cela fait maintenant 10 ans que notre marge baisse sous l’impact des baisses de prix », souligne Hubert Olivier, vice-président de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP). À ses yeux, l’ensemble de la chaîne du médicament doit se préoccuper des comptes de résultat des répartiteurs, car « ce n’est pas une bonne nouvelle à court et moyen terme que nous soyons autant en difficulté ». Des mesures urgentes sont attendues pour « redresser les comptes » en désensibilisant le modèle des répartiteurs des prix des médicaments, « comme vous désensibilisez le modèle de la pharmacie par étapes successives ».
Soutien de proximité
Également « grand militant de la rémunération à l’acte », Patrick Errard, président du LEEM, souligne l’importance de faire émerger une « réforme intelligente » des modes de rémunération de la chaîne du médicament, « incluant les grossistes et la pharmacie d’officine » mais à la condition de bien glisser de la rémunération à la marge à la rémunération à l’acte et non que les deux s’additionnent. Il en appelle d’ailleurs au pharmacien pour « éviter pleins d’âneries au comptoir grâce à une excellente éducation thérapeutique autour de l’iatrogénie, y compris sur les produits OTC, y compris sur les médicaments à bas prix ». Médecin lui-même, il n’hésite pas à fustiger certains confrères et à qualifier de surréalistes certaines prescriptions : « Des ordonnances à 11 médicaments, je suis désolé, ça a beau être prescrit par des confrères, je ne comprends pas. » Une façon de soutenir le rôle du pharmacien dans le parcours de soins et les engagements conventionnels envisagés avec l’UNCAM. « La pharmacie d’officine a une carte majeure à jouer, ajoute-t-il, et ça n’est certainement pas problématique vis-à-vis de mes confrères médecins parce qu’ils ne peuvent plus assurer de façon correcte le suivi des soins sans avoir une aide et un soutien de proximité territoriale. »
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