En février dernier, David Thierry et Isabelle Burlet ont envoyé un « cri d’alarme » à la CPAM et à la délégation départementale de l'ARS. Élus syndicaux en Isère (l’un coprésident FSPF, l’autre présidente USPO), ils ont recueilli l’ensemble des dysfonctionnements signalés par leurs consœurs et confrères et les ont consignés dans un courrier. « Il faut inverser la tendance. Au lieu que l’administration nous dise ce qu’on doit faire pour elle, il vaudrait mieux qu'elle se demande ce qu’elle peut faire pour nous aider à mieux accompagner les patients », commente David Thierry, qui appelle à une simplification des démarches administratives et de la législation pharmaceutique. « Depuis que je suis engagé dans le mouvement syndical, notre profession a connu des hauts et des bas, avec des pharmaciens que la colère a poussés à faire grève en 2014. Mais aujourd’hui, c’est autre chose. Ce n’est pas de la colère, c'est de l’épuisement », confirme Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
L'asphyxie administrative gagne la pharmacie
Depuis plusieurs mois, les syndicats ne cessent de dénoncer la surcharge administrative qui asphyxie l'officine et dévore inutilement le temps des pharmaciens. « Il y a un profond ras-le-bol. En 2020, lorsqu’il a fallu réagir et tester, nous avons répondu présents. Aujourd’hui, au lieu de nous remercier et de soutenir l’exercice officinal, l’assurance-maladie adopte une attitude je-m'en foutiste », s’agace Pierre-Olivier Variot. Le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) ne manque pas d’exemples : « Récemment, un confrère de Gironde m'a exposé un rejet de dossier pour non-application des droits d'exonération de maternité. C'était pour un patient de 72 ans, de sexe masculin ! C'est exaspérant de perdre du temps à gérer des erreurs dont nous ne sommes pas les acteurs. »
Pas de calme après la tempête.
À cette surcharge administrative, s’ajoutent les épisodes de ruptures de stocks et les nouvelles exigences réglementaires telles que la sérialisation. Fin 2022, la pénurie des antibiotiques et l'ulcération que cette situation a entraînée chez les patients ont accablé les équipes officinales. « Nous sommes dans une phase post-engagement intense, où les pharmaciens ont mis de côté leurs problèmes personnels pour servir la population. Alors qu’on pensait entrer dans une phase de décompression et de reprise d’activité normale, les ruptures de stocks ont entraîné un mécontentement, et le pharmacien s’est à nouveau retrouvé en première ligne », réagit le président de la FSPF. Passer des heures à rechercher un médicament disponible ou une alternative quand on manque de temps est particulièrement angoissant. D'autant plus lorsque l'équipe est en sous-effectif. L'angoisse du recrutement, partagée par nombre de pharmaciens, impose de réduire les jours et horaires d’ouverture, une option inimaginable il y a quelques années.
Qui dit accessible, dit exposé
Éreintante également la gestion du mécontentement et du stress des patients, premières victimes d'un système de santé en souffrance. Parce que les équipes officinales sont des professionnels de santé « à portée d'engueulade », pour reprendre la célèbre expression du président du Sénat, Gérard Larcher. En témoigne le panorama annuel de l’Ordre des pharmaciens sur la sécurité des pharmaciens, marqué chaque année par une augmentation des déclarations d'incivilités ou d'agressions physiques.
« Les ruptures de stock ont cristallisé cette agressivité, alors que nous n'en sommes pas responsables. Certains patients manquent réellement de reconnaissance », témoigne une pharmacienne. Pour elle, un des points de crispation est la rémunération : « On nous propose de faire de nouvelles missions, mais on ne nous en donne pas les moyens. Les tarifs négociés ne sont pas en corrélation avec l’activité. Une meilleure rémunération pourrait aider à embaucher plus et mieux. » Alors que le pharmacien est amené, sur le papier, à compenser la difficulté d'accès aux médecins, la complexité réglementaire embrouille les esprits plutôt qu'elle ne clarifie des missions revendiquées telles que la dispensation protocolisée.
Les autres gouttes d'eau qui font déborder la coupe d'Hygie
La fatigue engendrée par les gardes en nuit profonde, les attaques contre la profession à chaque PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale), la montée en puissance des falsifications d'ordonnance… Le cumul de tous ces éléments assombrit le quotidien des pharmaciens qui, lorsqu'ils ont choisi de devenir titulaires, rêvaient de libérer leur exercice. « Mon quotidien est embolisé par un tas de problèmes annexes. Ce ne sont plus des urgences, mais des sur-urgences », explique Julie, pharmacienne titulaire à la tête depuis 3 ans d’un paquebot officinal de 15 employés. Julie a l'impression d'être prise en otage de sa propre officine.
Entre lassitude et frustration, certains pharmaciens titulaires, à l’image de Julie, hésitent à jeter l’éponge. D’autres l'ont fait, pour préserver leur santé et reprendre goût à leur métier de pharmacien. Paul a tout lâché pour arrêter cette spirale dans laquelle il s’enfermait et qui avait déjà eu raison de son couple. « À 50 heures par semaine, je n’en pouvais plus. J’ai peu à peu arrêté mes activités annexes au sein du syndicat et de la CPTS. Malgré cela, j’étais arrivé à saturation. » Depuis qu’il a cédé son officine, Paul a retrouvé le sommeil et a réduit sa consommation d’alcool, qui était devenue anormale et de moins en moins contrôlable : « Avec le recul, je me rends compte que j’étais prisonnier d'une cage dorée. Un bon salaire, un bel outil de travail, une équipe sympa. Mais on n’a qu’une envie : c’est d’en partir. »
Pharmacien, chef d'entreprise, parent…
« Quel métier en France conjugue les rôles de manager, de chef d’entreprise et d’acteur de soin ? », s'interroge Catherine Cornibert, directrice de l'association SPS (soins aux professionnels de santé). Le pharmacien titulaire est tout cela à la fois. « J’ajouterai une quatrième responsabilité qui est celle d’assurer la vie du foyer et qui revient souvent aux femmes. Responsabilité qui devient une charge lorsque l’activité professionnelle dévore tout le temps et l’énergie. »
Selon la situation personnelle et la capacité de résilience, les épreuves sont plus ou moins faciles à surmonter. « Le chef ou la cheffe d’entreprise est toujours perçu(e) comme un surhomme ou une surfemme. Celui ou celle qui doit supporter et résoudre tous les problèmes sans avoir personne à qui se plaindre. Sans nier ces difficultés, il faut trouver les leviers de relativiser. Le fait de prendre de la hauteur permet d’atténuer la perception sur son propre contexte », analyse Marie-Hélène Gauthey, fondatrice et directrice d’Atoopharm.
Relativiser, c'est ce que fait Medhi Djilani, pharmacien à Oléron et président de Totum Pharmacie, lorsqu'il se sent dans le creux de la vague : « Il y a 15 ans, le modèle officinal était fortement attaqué et remis en cause par le rapport Attali, créant des incertitudes et des craintes pour l’avenir de la profession. Finalement, en 2023, le pharmacien est de plus en plus identifié comme un élément incontournable et à fort potentiel dans le paysage sanitaire. Ça redonne du courage. » Pour lui, le fait de s’investir pour la profession en dehors de son officine, comme il le fait au sein de Totum, le pousse à sortir de sa zone de confort, à mieux s’organiser, à adapter son management pour être épaulé efficacement dans le fonctionnement de son officine. « Il n’est plus possible de tout gérer. C'est pourquoi il est important d'organiser le déploiement des compétences des collaborateurs », insiste Marie-Hélène Gauthey.
Des pistes locales pour redonner du temps pharmaceutique.
Alors que s'ouvre l'ère du numérique en santé, on s'attend légitimement à une simplification des relations entre les professionnels de santé, les patients et les organismes d'assurance-maladie. « Simplifier les choses, c'est certainement le plus compliqué à faire », reconnaît David Thierry, de la FSPF. Compliqué, mais pas infaisable. Suite à leur courrier, lui et son homologue de l'USPO ont été reçus et écoutés par la directrice de la CPAM iséroise. Consciente des dysfonctionnements et de leurs conséquences pour les pharmaciens, elle souhaite élaborer un projet local de simplification administrative.
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