Depuis quelques mois les prises de parole se multiplient sur le droit de substitution biosimilaire du pharmacien. Car les discussions sur le sujet, prévues dès l’abrogation officielle de ce droit dans la LFSS 2020 et mises en sommeil par la crise sanitaire, ont repris avec l’ensemble des acteurs concernés. Première preuve tangible d’un retour de ce droit, le toujours très attendu rapport « Charges et produits » de l’assurance-maladie, présenté en juin dernier et qui préfigure le PLFSS à venir, dévoilait ses attentes en termes d’économies en 2022 issues directement de la substitution biosimilaire. Soit 10 millions d’euros. Effectivement, l’avant-PLFSS pour 2022, présenté le 6 octobre en Conseil des ministres, prévoit « d’élargir le rôle des pharmaciens en proposant un nouveau cadre d’exercice relatif à la substitution de certains groupes biosimilaires ».
Si l’article 39 de l’avant-projet ne rentre pas dans les détails pratiques de cette future substitution, il précise déjà que celle-ci ne pourra être réalisée que si « le prescripteur n’a pas exclu la possibilité de cette substitution » et ne concernera que les groupes biologiques similaires figurant sur une liste « fixée par arrêté (…) après avis de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ». Or seules deux molécules sont actuellement prévues sur cette liste qui n'a pas encore été rendue publique. Une chose est sûre, cette liste ne devrait pas pouvoir se chevaucher avec celle de six molécules prévue pour l’interchangeabilité des biosimilaires par les médecins à partir du 1er janvier prochain, et entérinée par l’avenant 9 de leur convention avec l’assurance-maladie en juillet dernier. On y trouve l’étanercept, l’adalimumab, le tériparatide, la follitropine alpha, l’énoxaparine et l’insuline asparte.
Hors la loi
Pour la députée et pharmacienne Agnès Firmin-Le Bodo, cette limitation à deux molécules est incompréhensible. « Cette mesure n’est pas à la hauteur des enjeux, à savoir 600 millions d’euros d’économies grâce au pharmacien en s’appuyant sur son expertise du droit de substitution, du médicament et sur la confiance que les patients ont en lui. Avec ces deux molécules, on arrive, au doigt mouillé, à 6 millions d’euros d’économies. Bien entendu les facilement substituables et avec des volumes élevés sont absents de la liste de l’ANSM, je veux parler de Lovenox et Humira. »
Si la députée est ravie que le droit de substitution biosimilaire par le pharmacien revienne dans la loi, les limitations qui l’entourent vont pousser son groupe parlementaire à déposer des amendements. Et d’expliquer qu’en juillet 2020, expérimentant une rupture de Lantus, elle a pris ses responsabilités et délivré le biosimilaire à ses patients, avec l’accord du médecin lorsque celui-ci était joignable. « J’étais hors la loi, mais je ne pouvais pas laisser mes patients sans insuline ! » Or, avec les mesures imaginées dans le PLFSS, cette pratique resterait illégale, l’insuline glargine étant actuellement absente de la liste des médicaments biologiques substituables par le pharmacien.
Les uns contre les autres
Le sujet était sur toutes les lèvres lors de la Journée de l’économie de l’officine, organisée par « Le Quotidien » le 22 septembre dernier. « Ce qui nous a été présenté ne nous convient pas en totalité », indique Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Pour que le développement des biosimilaires fonctionne en ville, « il ne faut pas monter les professionnels de santé les uns contre les autres », ce qui est exactement le cas en opposant ces listes de molécules réservées soit au médecin, soit au pharmacien. Un choix qui repose, selon Pierre-Olivier Variot, sur le dispositif de rémunération des deux professions en fonction des économies générées par l’interchangeabilité ou la substitution. L’USPO propose d’en sortir en rémunérant le pharmacien non pas sur l’économie générée mais sur le suivi du patient. Gilles Bonnefond, porte-parole de l’USPO, insiste pour sa part sur « ce qui est important », c’est-à-dire le retour du droit de substitution dans la loi. Une vision partagée par Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), qui rappelle le « tempo » législatif : le droit de substitution biosimilaire sera donc entériné par la loi avant la fin de l’année, « et c’est une bonne nouvelle ». En revanche, les modalités pratiques de cette substitution, qui viendront dans un second temps, retiennent l’attention de la profession, « notamment la liste de molécules qui sera établie par arrêté ».
Même si les syndicats se montrent confiants, Alain Grollaud, président de la Chambre syndicale des groupements et enseignes (FEDERGY), ne cache pas sa déception face à ces deux listes sans chevauchement et l’exclusion de fait de certaines molécules matures de la substitution, telle que l’énoxaparine. « J’espère qu’on va inverser rapidement la tendance parce que je trouve que les pharmaciens ne sont pas très bien traités au regard de tout ce qu’ils ont fait ces 18 derniers mois. » D’autant, souligne Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) que la dispensation du médicament est « le cœur du métier ; il n’y a pas un pharmacien en France qui ne substitue pas ».
Entretien pharmaceutique
Stéphane Joly rappelle le positionnement « pro-substitution biosimilaire, au moins à l’initiation du traitement » de l’association des génériqueurs, le GEMME, qu’il préside. Un positionnement obtenu de longue lutte, fin 2019. « Nous allons tout faire, avec les syndicats de pharmaciens et de groupements, pour que ces listes médecins et pharmaciens, d’une part se superposent, et d’autre part s’élargissent au plus vite », assure-t-il. Le GEMME a proposé ses propres pistes pour le développement du biosimilaire en ville en juin dernier. Outre son plaidoyer en faveur de la substitution par le pharmacien, il propose d’améliorer l’accompagnement et l’information des patients par le biais d’un entretien au début du traitement, puis de manière ponctuelle, en associant le binôme prescripteur-pharmacien pour un suivi coordonné. Et imagine un honoraire de suivi, aussi bien pour le médecin que pour le pharmacien.
Cet accompagnement par le pharmacien fait son chemin parmi les fabricants de biosimilaires. En juin dernier, Amgen a insisté sur le rôle de « relais d’informations » du pharmacien qui doit « s’assurer de l’adhésion du patient à son traitement » et pour cela l’accompagner « dans la compréhension de son traitement pour favoriser une observance de qualité ». Plus récemment, c’est Sandoz qui a livré ses pistes, et notamment l’idée de protocoles de dispensation à mettre en œuvre lors d’entretiens pharmaceutiques rémunérés. Mais ces deux laboratoires misent avant tout sur l’interchangeabilité par le médecin, au contraire de Biogaran et Viatris (ex-Mylan), qui défendent de longue date la substitution biosimilaire par le pharmacien.
Reste que cet avant-projet de loi n'est pas définitif. Il sera examiné en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale à partir du 12 octobre, puis en séance plénière le 19 octobre, avant de passer aux mains des sénateurs le 3 novembre. Une navette parlementaire n’est pas exclue.
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