Ce n’est plus qu’une question de mois, sinon de semaines, avant que la télémédecine, ou plutôt la téléconsultation, ne devienne une réalité à l’officine. Après être sorti du champ expérimental, le 15 septembre dernier, pour rejoindre le droit commun du financement des actes effectués en médecine de ville (1), le dossier avance désormais à grand pas dans le champ de la pharmacie.
La téléconsultation sera applicable sous la forme d’un avenant conventionnel (2) qui devrait être signé avant la fin de l’année entre l’Assurance maladie et les deux syndicats représentatifs de la profession. Une quatrième séance de négociations s’est tenue à la mi-octobre. Le principe d’une téléconsultation à l’officine est acté et les discussions portent désormais sur les modalités pratiques, et notamment l’équipement de base qui sera pris en charge par l’assurance maladie.
Un ancrage territorial
La profession n’a cependant pas attendu ce signal pour investir le terrain de la télémédecine, que ce soit sous forme de cabine ou de valise. À Commequiers, en Vendée, tout d’abord, puis à Sens, à Roanne, à Pézenas ou à Bergerac, plusieurs titulaires, le plus souvent à titre individuel, explorent ce nouveau champ d’intervention pour répondre à une urgence grandissante : la disparition progressive, et quasi irréversible, des médecins dans leur commune. Dans un sondage en ligne sur le site du « Quotidien », près de la moitié des pharmaciens (49,8 %) se déclare prête à s'investir dans la télémédecine (3), et ce bien avant même que le cadre conventionnel en soit défini.
Cette réalité fait dire à Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), que la téléconsultation à l’officine est davantage qu’une énième étape dans l’évolution de la profession. Il s’agit pour lui d’un virage décisif, le deuxième après celui des entretiens pharmaceutiques (AVK, asthme…) et des bilans de médication. « La téléconsultation à l’officine en tant que lien avec le patient et le médecin fait de la pharmacie un lieu stratégique dans les territoires », énonce-t-il.
De leur côté, les groupements, jouant la carte de mutualisation de moyens, sont d’ores et déjà dans les starting-blocks. Certains annoncent des téléconsultations opérationnelles d’ici à la fin de l’année. Fait significatif de l'intérêt suscité par cette nouvelle application à l'exercice officinal, l'investissement dans la télémédecine n’est pas l’apanage des groupements appartenant à des réseaux internationaux, comme Alphega, Pharmactiv ou Pharmavie, qui profitent de l’expérience des confrères étrangers. À l’échelle nationale, Giphar, PHR, Népenthès, Ceido, Les pharmaciens associés et bien d’autres encore, mûrissent leur réflexion, bien décidés à s’emparer, eux aussi, de cette nouvelle technologie pour positionner leurs adhérents dans les zones en sous-densité médicale. Des groupements régionaux comme Pharmacyal (Hauts-de-France) ou Pharm’upp (Grand Est et Provence-Alpes-Côte d’Azur) sont également dans la course (4).
Un contexte favorable
Il est vrai que la mise en œuvre de la télémédecine en pharmacie a été confortée récemment par un faisceau d’avancées sur le terrain législatif et parlementaire. L’avenant 11, signé par l'USPO en juillet 2017, a sans nul doute contribué à faire avancer l’esprit conventionnel dans de nouveaux champs du possible. Parallèlement, le très attendu décret services, paru le 5 octobre, a inscrit la télémédecine « en creux » à la liste des services rémunérés. « Il faut le prendre comme l’autorisation pour les pharmaciens de proposer des services rémunérés. Des conseils et des prestations destinés à favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes que peuvent proposer les pharmaciens sont larges : tests de dépistage, préparations des doses à administrer (PDA), télémédecine… », commente Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
Dans le décret services, Gilles Bonnefond veut voir un pharmacien reconnu « comme performant dans les services palliant la perte d’autonomie ». « Tout est complémentaire, la PDA, la télémédecine… », note-t-il se félicitant de la maturité d’une stratégie cohérente.
Autres auspices favorables à la téléconsultation à l’officine : les différents points du rapport des délégués nationaux à l’accès aux soins évoquant le rôle pharmacien, remis à Agnès Buzyn, ministre de la Santé, à la mi-octobre. « Les officines de pharmacie, compte tenu de leur excellent maillage territorial, constituent dans de nombreux territoires des portes d’accès pertinentes à la téléconsultation », relève le rapport.
Voie royale de l’interpro
De toute évidence, le pharmacien, en tant que professionnel de santé de proximité, est identifié comme pivot de référence de la télémédecine. Exit donc les modèles qui avaient pressenti des cabines de téléconsultation dans les mairies et autres bureaux de poste. Mieux même, des évolutions dans la prise en charge des soins non programmés rendent incontournables la téléconsultation à l’officine comme moyen de communication entre le pharmacien et le médecin au sein du parcours de soins du patient. C’est le cas d'une expérimentation « pharmacien de premier recours » dans le département de l’Aude, qui pourrait figurer au PLFSS 2019. Toutes les conditions semblent donc réunies pour qu’émerge cette nouvelle mission du pharmacien d’officine.
La téléconsultation à l’officine s’impose par ailleurs dans le plan national de santé « Ma santé 2022 », énoncé par le président de la République, le 18 septembre dernier, et qui a, entre autres, pour objectif de favoriser la coopération interprofessionnelle dans les territoires, au sein notamment des CPTS. La téléconsultation à l’officine, telle qu’elle est pressentie actuellement dans les négociations avec l’assurance-maladie, permettra au pharmacien d’intervenir tant dans les soins non programmés (avis médical, urgences) que dans l’accompagnement des malades chroniques et des chimiothérapies orales (effets secondaires, soins de support…) en lien, dans ce cas, avec l'hôpital.
En tout état de cause, le médecin requis devra être installé dans le territoire. Il n'est en effet aucunement question, pour les parties impliquées dans la mise en œuvre de la téléconsultation, de faire appel à des plateformes médicales, comme cela est le cas, par exemple, en Suisse au sein du dispositif NetCare. Philippe Gaertner est formel : « La télémédecine n’a d’avenir à l’officine que si elle a un avenir dans la médecine. » « Elle n’aura d’intérêt que dans les territoires où les différents acteurs décideront de l’utiliser. Cela ne servira à rien de s’équiper s’il n’y a personne au bout de la ligne. Cette approche doit se réfléchir entre professionnels », poursuit le président de la FSPF.
Éviter les disparités
L’objectif de la télémédecine doit être de renforcer l’attractivité des territoires et non de creuser davantage les inégalités. Ce dernier aspect est un spectre redouté par Albin Dumas, président de l’Association de pharmacie rurale (APR). Il ne faudrait pas, déclare-t-il en substance, que la généralisation de la télémédecine en territoires médicalement sous-dotés, entérine une situation de fait. En un mot, que la télémédecine ne soit pas adoptée comme un pis-aller, pour colmater les brèches d'un système de santé défaillant. Au risque sinon d’accentuer une disparité entre les populations des zones désertifiées et les autres, privilégiées parce que disposant de médecins. « Nous n’attendons pas de service meilleur que celui d'un praticien », rappelle-t-il. Albin Dumas insiste : « Pour l’heure, la télémédecine doit être essentiellement vouée aux soins non programmés, là où nous pouvons rendre service au patient car il y a un vide réel. » La version du dispositif telle que l’envisage l’APR est une télémédecine dans le respect du prescripteur ancré dans les territoires et du parcours de soins.
De même, tout comme il n’est pas question de privilégier certains territoires par rapport à d’autres, les syndicats veilleront à ce que la télémédecine ne soit pas un instrument de concurrence entre les officines. Aussi, seront-ils particulièrement vigilants sur la garantie de l’égalité d’accès des pharmacies à la télémédecine. C’est dans ce contexte que se jouent les négociations sur la prise en charge de l’équipement de base par l’assurance-maladie. « Les discussions portent sur des aides à l’équipement, notamment sur une participation à l’abonnement à l’Internet requis », expose de son côté, Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
Le consensus est aujourd’hui quasiment atteint quant à la définition des outils de l’équipement de base. Il s’agira d’un écran, d’une caméra de bonne qualité permettant de grossir les images, notamment en dermatologie, d’un stéthoscope, d’un otoscope, d’un tensiomètre et d’un oxymètre. « Tous ces objets n’ont cependant pas besoin d’être connectés. On peut s’imaginer qu’un pharmacien soit capable de communiquer des constantes au médecin », note Gilles Bonnefond. Il indique que l'acquisition d’autres équipements, comme une balance ou un glucomètre, restera à la discrétion du pharmacien. D’autres instruments, un électrocardiogramme par exemple, pourraient être financés par les ARS en fonction de la configuration du territoire et de l’isolement de la zone concernée.
Si aucun montant forfaitaire d’équipement ne perce encore aujourd’hui des négociations, il est évident pour Gilles Bonnefond que celui du pharmacien (émetteur) devra être supérieur à celui perçu par le médecin (récepteur) (5). En revanche, le deuxième volet financier, celui de la connexion Internet, sera identique à celui versé aux praticiens. Encore faut-il que la bande passante soit suffisante à la transmission d’images de qualité et de sons synchrones !
Enfin, en ce qui concerne la rémunération du pharmacien pour ces actes de téléconsultation, et notamment la mise en condition du patient, les syndicats et l’Assurance-maladie sont tombés d’accord sur le principe d’un forfait plancher et d'un forfait plafond. « Ce mode et ce montant feront l’objet d’une révision au bout d’un an ou un an et demi, tenant compte de la montée en charge », décrit Gilles Bonnefond. Les pharmaciens, candidats à la téléconsultation, devraient donc être fixés prochainement sur l’ensemble des modalités. Condition sine qua non pour pouvoir se projeter dans cette nouvelle dimension de l’exercice officinal.
(1) Prise en charge identique à une consultation classique, 25 à 30 euros, selon les cas.
(2) Avenant N° 14 ou N° 15 à la convention pharmaceutique, reste à déterminer.
(3) Sur 231 répondants.
(4) Liste non exhaustive.
(5) Pour information, une aide forfaitaire valorisée jusqu'à 525 euros est versée aux médecins, dans le cadre d'un nouveau volet de leur forfait structure, pour les accompagner dans l'achat des équipements nécessaires (appareils médicaux connectés et abonnements à un service sécurisé de téléconsultation).
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