Le Quotidien du pharmacien.- Votre rapport suggère de confier aux pharmaciens certaines consultations ainsi que certains actes, y compris la prescription de certains médicaments. Qu’est-ce qui motive cette recommandation ?
Thomas Mesnier.- Partant du constat que d’ici à 2025 notre pays sera dans l’incapacité de produire des médecins en nombre suffisant pour faire face aux départs à la retraite, je pense qu’il faut absolument décloisonner notre système de santé afin de permettre à certains professionnels de santé, dont les pharmaciens, d’intervenir dans les soins non programmés. Et pourquoi pas même dans les soins programmés.
En ce qui concerne plus particulièrement les pharmaciens, cette ouverture sera formalisée sous forme de protocoles qui porteront sur une douzaine de situations du quotidien, telles que la prise en charge à l’officine des cystites, des allergies, des angines… Pour ces dernières, la réintroduction des TROD (1) angines en officine aura bien entendu tout son sens. Concernant l’ensemble de ces différentes prises en charge, j’ai été très heureux de constater que les pharmaciens que j’ai auditionnés (2) étaient demandeurs.
Jusqu’à présent, les principaux freins à ce décloisonnement des taches entre professionnels de santé étaient d’ordre financier. Quelles sont les pistes que vous poursuivez en matière de rémunération de ces professionnels ?
Nous nous éloignons résolument du paiement à l’acte de façon générale. Il y aurait donc une certaine logique à ce que les pharmaciens soient rémunérés au forfait intégré dans des parcours de soins. Ajoutons que la forfaitisation va d’ailleurs dans le sens de l’histoire. Pour les médecins, par exemple, la tarification à l’acte sera ainsi très certainement peu à peu délaissée au profit d'une rémunération au forfait – tout particulièrement pour le patient complexe — qui valorisera ce type de prise en charge. Nous avons par exemple évoqué la rémunération par capitation dans les discussions.
Cette nouvelle organisation suppose-t-elle l’abandon d’un modèle médico-centré au profit d’un concept centré sur le patient ?
L’important, c’est le patient. Le médecin traitant restera toujours la pierre angulaire du système, ceci est indéniable. Cependant, ce modèle devra s’appuyer sur les pharmaciens, car qui mieux qu’eux maillent aujourd’hui le territoire ? Nous disposons déjà de formes de coopération que sont les CPTS (3) et les maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) et qui me semblent aptes à répondre aux besoins des territoires. Malheureusement, elles ne sont pas encore assez nombreuses et il faut absolument les développer.
Vous proposez l’instauration d’un numéro d’urgence unique, le 15. Comment cette organisation peut-elle mieux répondre à la demande de soins non programmés ?
Sous ce numéro unique Santé, le patient pourra obtenir un urgentiste ou un médecin généraliste qui lui donnera un conseil ou l’orientera vers un médecin, un pharmacien, un kinésithérapeute ou un infirmier, ou encore vers les urgences, selon les cas. Il faut ensuite que le pharmacien, face au patient, puisse agir en fonction d’un panier de soins et d’algorithmes qui orienteront la prise en charge. Il est évident que le médecin traitant en sera informé puisque cette prise en charge sera renseignée dans le dossier pharmaceutique (DP) qui sera interopérable avec le dossier médical partagé (DMP). Nous disposons aujourd’hui, en 2018, de tous les moyens technologiques pour répondre à cet enjeu.
Quelles devront être les prochaines étapes à suivre pour que votre rapport soit suivi d’effets ?
L'État se doit de remplir ses missions régaliennes, la santé des Français en est une majeure. Les corporatismes anciens et les multiples strates qui complexifient l’application de nouvelles organisations doivent être dépassés. J’ai choisi de rendre un rapport de 84 pages, pragmatique, comportant des mesures applicables rapidement. Il convient désormais de convaincre les professionnels de santé de s’en emparer, de s’exprimer sur ces idées. Parallèlement, d’autres rapports vont être remis à la ministre de la Santé qui permettront de formuler une transformation de notre système de santé.
Doit-on à nouveau légiférer alors que la dernière loi santé a à peine deux ans ?
Pas pour l’essentiel. L’ensemble de ces propositions ne requiert pas une nouvelle législation. Nous disposons des outils réglementaires, voire conventionnels, nécessaires. L’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 présente par ailleurs l’avantage de permettre des expérimentations. Les protocoles avalisés par les ARS devront être validés par la HAS afin de doter les projets pilote d’une envergure nationale, à l’instar de ce que nous avons connu pour la vaccination à l’officine.
(1) Tests rapides d’orientation diagnostique, autorisés en 2013 à l'officine puis interdits deux ans plus tard.
(2) Représentants du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France et de l'Union des syndicats des pharmaciens d'officine, ainsi que Marie Morice et Estelle Barth, pharmaciennes.
(3) Communautés professionnelles de territoire en santé.
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