On estime que plus de 2 millions de Français sont dénutris, dont 400 000 au moins vivent à leur domicile. Un vrai problème de santé publique qui, avec le vieillissement de la population, risque de s’aggraver. Les coûts médicaux et hospitaliers des conséquences de la dénutrition - infections, troubles de la marche, chutes, fractures, escarres… -, déjà élevés, vont encore augmenter. Les recommandations de bonne pratique, réactualisées, de la Haute Autorité de santé (HAS) sur le dépistage de la dénutrition chez les personnes âgées de plus de 70 ans (1) visent précisément à améliorer son diagnostic trop souvent tardif, au stade des complications.
Repérer les petits changements
« En France, la dénutrition est sous-dépistée et sous-diagnostiquée. Les chiffres sont catastrophiques, en ville comme dans les EHPAD, et les médecins ne sont pas sensibilisés à ce risque. Les pharmaciens, qui voient régulièrement les patients et les aidants, ont ici un rôle fondamental à jouer. Ils les connaissent, savent s’ils ont une maladie à risque comme un cancer ou se trouvent dans une situation favorisante (veuvage, isolement…) et ils sont à même de repérer des petits changements (comme des vêtements qui flottent) », affirme le Dr Guillaume André, pharmacien-nutritionniste, qui a fait partie du groupe de travail de mise au point de ces nouvelles recommandations. Il sait en effet de quoi il parle puisqu’il a été titulaire d’une pharmacie pendant 15 ans et enseigne aujourd’hui la nutrition (en particulier de la personne âgée) à l’université de Nantes et à l’ICES de Vendée.
« Pour le pharmacien d’officine, dépister un état de dénutrition chez une personne âgée n’est pas plus compliqué que de dépister un diabète, par exemple, assure Guillaume André. On peut tout d’abord être alerté par l’âge (à risque au-dessus de 75 ans) ou par une pathologie inflammatoire aiguë ou chronique, de l’escarre à la Covid. Et oser alors poser quelques questions, sans braquer la personne ni être trop intrusif. En pratique, le sujet le plus délicat à aborder est la prise alimentaire, en partie aussi parce que beaucoup de fausses croyances courent encore, par exemple, "c’est normal de moins manger, on a moins d’activités". Il est plus facile d’enchaîner en cas de petite plainte (asthénie, chute…). »
IMC < 22 = risque de dénutrition
Le questionnaire MNA-SF (6 items), version courte du Mini Nutritional Assessment utilisé en institution qui en compte 18, est un bon outil de dépistage du risque de dénutrition. Guillaume André préconise, pour sa part, le questionnaire Parad (Poids Appétit Repas Alimentation) (2), plus intéressant à l’officine. En 4 questions simples, le pharmacien peut repérer une anomalie, amorcer un dialogue avec le patient en lui expliquant les risques encourus et calculer son IMC (indice de masse corporelle). « Attention, le seuil de dénutrition selon l’IMC diffère de celui de l’adulte jeune, il est plus élevé chez la personne de 70 ans et plus : < 22 kg/m2. S’il est inférieur à 20, la dénutrition est sévère, avertit l’expert. Ce qui est considéré comme un surpoids délétère chez un adulte jeune ne l’est pas forcément chez un senior. Les données épidémiologiques montrent nettement une augmentation de la morbimortalité en dessous de 22-23 d’IMC dans la population âgée. D’où cette correction apportée par la HAS par rapport aux recommandations de 2007. »
Autre différence, désormais le diagnostic proprement dit de la dénutrition chez les seniors repose exclusivement sur l’examen clinique qui doit permettre de repérer l’association d’au moins deux critères. Un critère phénotypique, relatif à l’état physique de la personne, et un critère étiologique, c’est-à-dire lié à une cause possible de dénutrition. Les critères phénotypiques sont : perte de poids > 5 % en 1 mois ou > 10 % en 6 mois par rapport au poids habituel ; IMC < 22 kg/m2 ; sarcopénie confirmée (perte de la force musculaire associée à une diminution de la masse musculaire). Et les critères étiologiques : réduction de la prise alimentaire (> 50 % pendant plus d’une semaine ou réduction des apports pendant plus de 2 semaines par rapport à la consommation habituelle ou aux besoins protéino-énergétiques) ; malabsorption ou mal digestion ; situation pathologique, avec ou sans syndrome inflammatoire.
Trop d’ordonnances imprécises
« Pour améliorer le diagnostic et la prise charge de la dénutrition des seniors, tout le monde doit s’y mettre », martèle Guillaume André qui conseille tout d’abord aux pharmaciens de mettre une balance à disposition, d’avoir le réflexe d’inciter les patients âgés à se peser, de le noter sur les ordonnances et d’inscrire le poids, comme la tension artérielle, dans l’ordinateur.
Ensuite, si la dénutrition évolue à bas bruit (ceinture resserrée d’un cran, escarres qui traînent…), on peut donner des conseils alimentaires pour enrichir soupes, pâtes et purée (jaune d’œuf, vermicelles, crème fraîche, beurre…). En revanche, si la perte de poids est rapide, importante et a un gros retentissement, il faut tout de suite taper fort, prévenir le médecin pour un bilan étiologique complet et une prescription de compléments nutritionnels oraux (CNO) adaptés. Mais « très souvent, les ordonnances ne précisent pas le type de CNO. C’est donc au pharmacien de connaître les besoins selon les situations et de proposer, par exemple, des produits hyperprotidiques en cas d’escarres, d’infections, de cancer ou en post-op, en excluant un grand nombre de jus de fruits qui n’apportent que des calories ». Le conseil ne s’arrête pas là, il faut encore s’assurer de l’observance, repeser, discuter de la polymédication avec le médecin, suggérer des CNO de goûts différents, etc. Un travail que le pharmacien peut (et doit) assurer… en complétant un peu sa formation.
1) En partenariat avec la Fédération française de nutrition. Publiées en novembre 2021.
2) Mis au point par le Pr Agathe Raynaud-Simon (gériatre-nutritionniste) et disponible sur www.luttecontreladenutrition.fr
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